Abrégé de lHistoire Générale des Voyages | Page 4

Jean François de la Harpe
une analyse habile des beautés tragiques de ce grand po?te. Parmi les autres éloges, celui de Catinat est regardé comme le plus soigné. Ces titres littéraires lui ouvrirent en 1776 les portes de l'académie fran?aise où il succéda à Colardeau. La séance destinée à sa réception fut, suivant les mémoires du temps, très-brillante; Laharpe s'attira de vifs applaudissemens par son discours, surtout par son tableau des agrémens du commerce des lettres, et puis par la lecture d'un fragment de sa traduction en vers de la Pharsale de Lucain; mais le public mit de la malice à applaudir bien plus vivement encore le discours de Marmontel qui répondit à Laharpe, et à y chercher des allusions. Ce discours fut un événement pour le grand nombre d'oisifs de ce temps. Grimm a pris la peine d'en consigner les moindres détails dans sa correspondance littéraire. Après avoir peint la modestie et le caractère pacifique de Colardeau, Marmontel rappela de lui ce mot: ?La critique me fait tant de mal que je n'aurai jamais la cruauté de l'exercer contre personne,? dont le public fit sur-le-champ une application peu flatteuse pour Laharpe; sa malice se manifesta de nouveau quand Marmontel ajouta: voilà, Monsieur, dans un homme de lettres un caractère intéressant. Ce mot si simple, dit Grimm, fut applaudi comme si c'e?t été la meilleure épigramme qu'on e?t jamais faite. Il est vrai qu'il y avait au moins trois à quatre cents complices qui en firent les honneurs. Ce qu'il y eut de plus désagréable dans cette aventure pour Laharpe, c'est qu'à la suite des louanges qui lui furent données par son illustre confrère, ces mêmes applaudissemens se renouvelèrent encore souvent, toujours avec la même chaleur, et, puisqu'il faut le dire, avec les mêmes éclats de rire. On arrêta plusieurs fois l'orateur au milieu de sa phrase, et c'est avec une patience et une résignation tout-à-fait méritoires que l'orateur se laissait interrompre. Avant de faire remarquer le mérite qui distingue les différentes productions de Laharpe, il rappelle avec une douce indignation les critiques qui s'étaient élevées contre lui. On laisse passer légèrement ce que dit Marmontel du courage avec lequel notre jeune académicien défendit toujours la cause du bon go?t, et l'on éclate en transports lorsque son panégyriste avoue que dans les disputes littéraires on lui avait souhaité quelquefois plus de modération, le sel du go?t n'ayant pas besoin d'être mêlé du sel amer de la satire, etc. Tout ce détail, ajoute Grimm, est peut-être assez insipide à raconter; mais il ne fut que trop plaisant pour les intéressés. Jamais éloge ne fit un effet plus contraire à celui que l'on devait naturellement attendre; jamais on ne fit plus cruellement justice des torts qu'un homme de lettres peut avoir eus avec ses rivaux, et je connais peu de scènes de comédie plus piquantes que ne le fut ce singulier persifflage; il e?t été sans doute beaucoup plus original, si celui qui en fut l'objet, s'était mis à dialoguer avec le public, comme il a dit depuis qu'il en avait été tenté.
Il ne faut pas attacher autant d'importance que Grimm à cet événement insignifiant: toutefois on voit par les nombreuses attaques des adversaires de Laharpe, que s'il plaisait par ses talens littéraires, il n'avait pas du moins l'art de captiver par sa conduite la bienveillance générale. Lorsqu'on donna au théatre les Journalistes anglais, par Cailhava, le public, ou une partie du public voulut y voir une satire sanglante de Laharpe; on reconnut ses querelles avec Sauvigny, avec Blin de Saint-Maure, on retrouva ses expressions, et quelquefois ses injures. Ce ne fut qu'un des mille et un désagrémens que lui attira l'aigreur de sa critique. Les mémoires du temps assurent que Blin de Saint-Maure se vengea d'un article de Laharpe inséré dans le Mercure, sur ou plut?t contre un de ses ouvrages, en attaquant le critique dans la rue au moment où bien paré et poudré celui-ci se rendait à une assemblée de beaux-esprits. Les querelles de Laharpe avec Dorat furent si vives, que l'académie fran?aise se vit obligée de l'engager à plus de modération; l'abbé de Boismont disait à ce sujet: ?Nous aimons tous infiniment M. de Laharpe, mais on souffre en vérité de le voir arriver sans cesse l'oreille déchirée.? Quant à cette querelle entre Laharpe et Dorat, elle fut apaisée par les jolies femmes qui étaient également éprises pour les beaux vers de l'un et les galantes bagatelles de l'autre. Le premier avait fait une tragédie touchante sur un événement tragique qui était arrivé depuis peu. C'était le suicide d'une religieuse que le désespoir avait porté à cet acte violent. Ne pouvant espérer de faire jouer cette pièce en public, Laharpe en faisait la lecture dans les sociétés; on la représenta chez M. d'Argental, ainsi que chez madame de Cassini, qui joua le r?le
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