Abrégé de lHistoire Générale des Voyages | Page 3

Jean François de la Harpe
brusquement quitté Ferney avec sa femme, et qu'il était revenu à Paris; ses ennemis, dont le nombre s'était beaucoup accru, tant par ses premiers succès que par un peu de présomption de sa part, prétendirent que Voltaire l'avait renvoyé. Le patriarche de Ferney démentit ce bruit dans les gazettes. Grimm, instruit par les amis de Voltaire, et étant lui-même en liaison avec lui, assure que c'est par pure générosité que Voltaire donna un démenti aux adversaires de Laharpe, et que ce littérateur s'était réellement rendu coupable d'une grande indiscrétion, en répandant à Paris le deuxième chant de la Guerre de Genève, que Voltaire avait intérêt de tenir secret, et en soutenant ensuite qu'il le tenait d'un ami de ce grand homme. Il para?t donc que Voltaire se brouilla en effet avec Laharpe; cependant comme vers le même temps madame Denis et madame Dupuis quittèrent Ferney, on peut croire que Voltaire était de mauvaise humeur contre tous ses convives.
On vient de parler de la présomption de Laharpe. Il est difficile qu'un po?te encouragé par les suffrages d'un public aussi éclairé que celui de la capitale de la France, et surtout par la plus belle partie de ce public, se mette assez en garde contre la vanité; plus les applaudissemens donnés à des tirades de vers ou des phrases élégamment construites sont vifs et nombreux, plus on s'imagine être au nombre des premiers hommes du siècle, et plus on souffre avec peine la critique qui trouble les illusions d'un esprit enivré de louanges. Laharpe a donc pu repousser avec animosité ou avec amertume les attaques de ses adversaires; mais parmi ceux-ci il y avait des écrivains qui, pour le moins, avaient autant de vanité que lui, sans l'égaler en talens. L'un d'eux disait de lui:
Si vous voulez faire bient?t Une fortune immense et pourtant légitime, Il vous faut acheter Cythare ce qu'il vaut, Et le vendre ce qu'il s'estime.
Linguet lui promit une épigramme chaque semaine, et fut en effet très zélé d'acquitter sa promesse; Dorat et Champfort ne furent pas en reste; d'autres po?tes se mirent de la partie. Piron en jouant sur les mots, l'appelait la Harpie. Il n'y eut pas jusqu'à l'abbé Delille qui n'y donnat sa saillie: faisant allusion à une jolie chanson de Laharpe, ? ma tendre musette, il dit au sujet des éloges donnés au po?te pour des pièces d'un caractère plus élevé:
De l'admiration réprimez le délire, Parlez de sa musette, et non pas de sa lyre.
Laharpe, doué d'un caractère vif et emporté paya ses ennemis de la même monnaie; il se vengea de plusieurs en évoquant poétiquement l'ombre de Duclos. Une vengeance plus noble, ce furent les succès éclatans qu'il obtint dans les concours académiques de Paris et de la province. Dès 1767 il avait été couronné par l'académie fran?aise pour son discours sur les malheurs de la guerre et les avantages de la paix. Sept autres prix lui furent donnés dans les dix années suivantes, par l'académie fran?aise, pour des morceaux en prose et en vers. C'est aux concours académiques que sont dus ses éloges de Fénélon, de Racine, de La Fontaine, de Catinat, de Charles V et de Henri IV. Il manqua le prix pour les éloges de La Fontaine et de Henri IV, quoiqu'il f?t si s?r du succès qu'il avait fait des lectures de ces deux pièces dans les sociétés de Paris, avant que les juges académiques eussent prononcé. On sait que Necker pour lui faire un présent délicat, avait fait ajouter deux mille francs au prix proposé par l'académie de Marseille, pour le meilleur éloge de La Fontaine, et que ce fut Champfort qui le remporta. Un grand mérite de Laharpe, dans ces éloges, c'est d'avoir su en varier le style et le mettre d'accord avec les sujets; sous ce rapport il a l'avantage sur Thomas, qui a parfaitement retracé l'histoire des éloges, mais qui en a fait presque d'aussi ampoulés que ceux qu'il a blamés. Une douceur harmonieuse règne dans l'éloge de Fénélon; l'auteur fait sentir la candeur angélique de cette ame pure qui ne connaissait point les sentimens haineux et dont le coeur, valait mieux que celui de tant d'autres prélats du temps, toujours empressés de persécuter au nom de leur religion. Comme cet esprit de tolérance ne s'était pas transmis à leurs successeurs, ceux-ci trouvèrent leur satire et des maximes mal sonnantes dans l'éloge de Fénélon fait par Laharpe, et se remuèrent pour s'en venger. Un ministre d'un esprit assez médiocre, le chancelier Maupeou, ordonna que désormais les morceaux académiques seraient soumis comme autrefois à l'approbation de la Sorbonne, espèce d'inquisition qui jouissait de la faculté de condamner sans pouvoir y joindre celle de punir. Heureusement cet ordre absurde ne resta pas long-temps en vigueur.
L'éloge de La Fontaine rappelle la na?veté du fabuliste, et l'éloge de Racine contient
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