idées, au moins dans le sens du conceptualisme, et n'échappèrent point au danger d'une logique plus ingénieuse que sensée. Aussi a-t-on imputé à leur influence tout ce que la scolastique présente de sophistique subtilité[9]. Historiquement, de tels rapports seraient peut-être difficiles à prouver, quoique les analogies soient réelles; mais on se rencontre sans s'imiter.
[Note 9: Brucker, _Hist. crit. Phil._, t. III, p. 660, 679, 719 et 804.]
Enfin, Aristote et Platon avaient établi chacun une doctrine originale; celui-ci, en atténuant et supprimant la difficulté de la question par l'attribution d'une existence réelle aux types généraux des choses, aux idées invisibles, l'exemplaire et l'objet des idées générales; celui-là, en adoptant le principe négatif, qu'il n'y a rien en acte qui soit universel, mais en tempérant les conséquences de cet individualisme, soit par la théorie de l'existence en acte et en puissance, soit par la distinction de la forme et de la matière, soit par l'admission des substances secondes et des formes substantielles. De là cependant deux doctrines: l'une, le réalisme idéaliste; l'autre qu'on pourrait appeler le formalisme, et qui, en conservant des traces de réalisme, pouvait mener aux conséquences avouées des conceptualistes et des nominaux. Ces deux grandes doctrines, protégées par des noms immortels, n'avaient jamais été complètement oubliées.
Depuis Aristote et Platon, il y avait donc au moins deux opinions sur la question, qui n'avait pas toujours conservé la même forme ni la même portée. Comme, parmi les idées, les unes sont des idées de choses sensibles, les autres des idées de choses insensibles, cette différence avait engendré celle des doctrines et produit les diverses solutions d'un problème unique.
Dans l'antiquité, deux grandes écoles avaient pris parti contre les idées des choses sensibles, en révoquant en doute ces choses mêmes. La secte éléatique niait les choses sensibles, prétendant démontrer leur impossibilité rationnelle, et elle ouvrait ainsi la porte à toutes les sortes de scepticisme. Platon, sans aller aussi loin, osa n'attribuer qu'une réalité imparfaite aux choses sensibles, accusant ainsi la sensation et les idées qu'elle suggère d'une certaine infidélité. Ce qui échappe aux sens lui avait paru plus réel que ce que les sens atteignent et manifestent.
Mais les idées des choses non sensibles ne sont pas toutes de même espèce, parce que les choses non sensibles ne sont pas toutes de même nature. Toute doctrine qui les confond et les enveloppe dans une proscription commune, manque de justesse et de pénétration. Peut-être épicure, peut-être Démocrite ont-ils mérité ce reproche. L'injustice ou l'ignorance pourraient seules l'adresser à cet Aristote qui a tant méprisé Démocrite. Certes il a reconnu comme réelles bien des choses non sensibles, et l'invisible eut souvent la foi de l'auteur de la Métaphysique, de celui qui disait qu'il n'y a de science que de l'universel[10]. Mais quel invisible, s'il y en a plusieurs? Quelles sont les distinctions à faire parmi les idées des choses non sensibles?
[Note 10: _Analyt. post._, I, XXX.--Met., III, iv et vi.]
D'abord, les idées sensibles ou souvenirs des individus donnent naissance immédiatement à deux sortes d'idées. La première se compose des idées des qualités per?ues dans les individus. Ces idées, souvenirs de sensations, une fois qu'elles sont détachées de ces souvenirs, ne représentent plus rien de réellement individuel, ni qui soit accessible aux sens en dehors des individus; elles sont donc, à la rigueur et prises isolément, des idées de choses non sensibles, quoiqu'elles soient les souvenirs ou conceptions des modes sensibles que l'expérience nous témoigne dans les individus. Con?ues en elles-mêmes et séparément, elles représentent les qualités abstraites de tout sujet, et c'est pour cela qu'on les appelle communément idées abstraites.
La seconde classe d'idées de choses non sensibles à laquelle donne lieu le souvenir des choses sensibles, est celle des idées des qualités en tant que communes aux individus semblables, lesquelles qualités, considérées dans les êtres qui les réunissent, servent à distribuer ceux-ci en diverses collections. Ces collections sont les genres et les espèces. Les idées de ces collections sont des idées de choses non sensibles, quoique d'une part ces collections comprennent tous les individus accessibles aux sens, et que de l'autre ces idées soient les souvenirs des qualités observées chez les individus que les sens ont fait conna?tre. Mais, d'un c?té, le genre ou l'espèce comprennent tous les individus, et nul ne peut avoir observé tous les individus. De l'autre, les idées de genre ou d'espèce font abstraction des individus, pour résumer ce qu'ils ont de commun; et ce qu'ils ont de commun ne peut être per?u par les sens hors d'eux-mêmes. Les idées de genre et d'espèce ne sont donc ni des souvenirs directs de sensations, ni seulement des souvenirs de sensations, quoiqu'elles contiennent des souvenirs de sensations. Elles comprennent plus que les sens n'en ont vu.
Ainsi, même pour ceux qui n'admettent pas d'autres éléments dans les idées abstraites ou de qualité et dans les
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