A se tordre | Page 7

Alphonse Allais
connaissance.
L��employ�� des ponts et chauss��es, le postier, le commis de la r��gie, le repr��sentant de la Nationale, tous ces braves gar?ons avec qui j��avais si souvent trinqu��, tous disparus, dispers��s, dans des cabanons peut-��tre, eux aussi?
Mon coeur se serra comme dans un ��tau.
Le patron me reconnut et me tendit la main, tristement, sans une parole.
-- Eh ben, quoi donc? fis-je.
-- Ah! Monsieur Ludovic, quel malheur pour tout le monde, �� commencer par moi!
Et comme j��insistais, il me dit tout bas:
-- Je vous raconterai ?a apr��s d��jeuner, car cette histoire-l�� pourrait influencer les nouveaux pensionnaires.
Apr��s d��jeuner, voici ce que j��appris:
La table d��h?te de l��H?tel de France et de Normandie est fr��quent��e par des c��libataires qui appartiennent, pour la plupart, �� des administrations de l����tat, �� des compagnies d��assurances, par des voyageurs de commerce, etc., etc. En g��n��ral, ce sont des jeunes gens bien ��lev��s, mais qui s��ennuient un peu �� Andouilly, joli pays, mais monotone �� la longue.
L��arriv��e d��un nouveau pensionnaire, voyageur de commerce, touriste ou autre, est donc consid��r��e comme une bonne fortune: c��est un peu d��air du dehors qui vient doucement moirer le morne et stagnant ��tang de l��ennui quotidien.
On cause, on s��attarde au dessert, on se montre des tours, des ��quilibres avec des fourchettes, des assiettes, des bouteilles. On se raconte l��histoire du Marseillais:
? Et celle-l��, la connaissez-vous? Il y avait une fois un Marseillais�� ?
Bref, ces quelques distractions abr��gent un peu le temps, et tout ��tranger tant soit peu aimable se voit sympathiquement accueilli.
Or, un jour, arriva �� l��h?tel un jeune homme d��une trentaine d��ann��es dont l��industrie consiste �� louer dans les villes un magasin vacant et �� y d��biter de l��horlogerie �� des prix fabuleux de bon march��.
Pour vous donner une id��e de ses prix, il donne une montre en argent pour presque rien. Les pendules ne co?tent pas beaucoup plus cher.
Ce jeune homme, de nationalit�� suisse, s��appelait Henri Jouard. Comme tous les Suisses, Jouard, �� la patience de la marmotte, joignait l��adresse du ouistiti.
Ce jeune homme ��tait pos�� comme un lapin et doux comme une ��paule de mouton.
Quoi donc, mon Dieu, aurait pu faire supposer, �� cette ��poque-l��, que cet Helv��te aurait d��cha?n�� sur Andouilly le torrent impitoyable de la delphacomanie?
Tous les soirs, apr��s d?ner, Jouard avait l��habitude, en prenant son caf��, de modeler des petits cochons avec de la mie de pain.
Ces petits cochons, il faut bien l��avouer, ��taient des merveilles de petits cochons; petite queue en trompette, petites pattes et joli petit groin spirituellement trouss��.
Les yeux, il les figurait en appliquant �� leur place une pointe d��allumette br?l��e. ?a leur faisait de jolis petits yeux noirs.
Naturellement, tout le monde se mit �� confectionner des cochons. On se piqua au jeu, et quelques pensionnaires arriv��rent �� ��tre d��une jolie force en cet art. L��un de ces messieurs, un nomm�� Vall��e, commis aux contributions indirectes, r��ussissait particuli��rement ce genre d��exercice.
Un soir qu��il ne restait presque plus de mie de pain sur la table, Vall��e fit un petit cochon dont la longueur totale, du groin au bout de la queue, ne d��passait pas un centim��tre.
Tout le monde admira sans r��serve. Seul Jouard haussa respectueusement les ��paules en disant:
-- Avec la m��me quantit�� de mie de pain je me charge d��en faire deux, des cochons.
Et, p��trissant le cochon de Vall��e, il en fit deux.
Vall��e, un peu vex��, prit les deux cochons et en confectionna trois, tout de suite.
Pendant ce temps, les pensionnaires s��appliquaient, imperturbablement graves, �� modeler des cochons minuscules.
Il se faisait tard; on se quitta.
Le lendemain, en arrivant au d��jeuner, chacun des pensionnaires, sans s����tre donn�� le mot, tira de sa poche une petite bo?te contenant des petits cochons infiniment plus minuscules que ceux de la veille.
Ils avaient tous pass�� leur matin��e �� cet exercice, dans leurs bureaux respectifs.
Jouard promit d��apporter, le soir m��me, un cochon qui serait le dernier mot du cochon microscopique.
Il l��apporta, mais Vall��e aussi en apporta un, et celui de Vall��e ��tait encore plus petit que celui de Jouard, et mieux conform��.
Ce succ��s encouragea les jeunes gens, dont la seule occupation d��sormais fut de p��trir des petits cochons, �� n��importe quelle heure de la journ��e, �� table, au caf��, et surtout au bureau. Les services publics en souffrirent cruellement, et des contribuables se plaignirent au gouvernement o�� firent passer des notes dans La Lanterne et Le Petit Parisien.
Des changements, des disgraces, des r��vocations ��maill��rent L��Officiel.
Peine perdue! La delphacomanie ne lache pas si ais��ment sa proie.
Le pis de la situation, c��est que le mal s����tait r��pandu en ville. De jeunes commis de boutiques, des n��gociants, M. Fourquemin lui- m��me, le patron du Caf�� du March��, furent atteints par l����pid��mie. Tout Andouilly p��trissait des cochons dont le poids moyen ��tait arriv�� �� ne pas d��passer un milligramme.
Le commerce ch?ma, p��riclita l��industrie, stagna l��administration!
Sans l����nergie du pr��fet, c��en ��tait fait d��Andouilly.
Mais le pr��fet, qui se
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