à Saint-Loup quand nous fûmes dehors et je tremblai car
je compris bien vite que c'était de M. de Charlus que Bloch parlait sur ce ton ironique:
«quel était cet excellent fantoche en costume sombre que je vous ai vu promener
avant-hier matin sur la plage? » «C'est mon oncle», répondit Saint-Loup piqué.
Malheureusement, une «gaffe» était bien loin de paraître à Bloch chose à éviter. Il se
tordit de rire: «Tous mes compliments, j'aurais dû le deviner, il a un excellent chic, et une
impayable bobine de gaga de la plus haute lignée». «Vous vous trompez du tout au tout,
il est très intelligent», riposta Saint-Loup furieux. «Je le regrette car alors il est moins
complet. J'aimerais du reste beaucoup le connaître car je suis sûr que j'écrirais des
machines adéquates sur des bonshommes comme ça. Celui-là, à voir passer, est crevant.
Mais je négligerais le côté caricatural, au fond assez méprisable pour un artiste épris de la
beauté plastique des phrases, de la binette qui, excusez-moi, m'a fait gondoler un bon
moment, et je mettrais en relief le côté aristocratique de votre oncle, qui en somme fait un
effet buf, et la première rigolade passée, frappe par un très grand style. Mais, dit-il, en
s'adressant cette fois à moi, il y a une chose dans un tout autre ordre d'idées, sur laquelle
je veux t'interroger et chaque fois que nous sommes ensemble, quelque dieu, bienheureux
habitant de l'Olympe, me fait oublier totalement de te demander ce renseignement qui eût
pu m'être déjà et me sera sûrement fort utile. Quelle est donc cette belle personne avec
laquelle je t'ai rencontré au Jardin d'Acclimatation et qui était accompagnée d'un
monsieur que je crois connaître de vue et d'une jeune fille à la longue chevelure?» J'avais
bien vu que Mme Swann ne se rappelait pas le nom de Bloch, puisqu'elle m'en avait dit
un autre et avait qualifié mon camarade d'attaché à un ministère où je n'avais jamais
pensé depuis à m'informer s'il était entré. Mais comment Bloch qui, à ce qu'elle m'avait
dit alors, s'était fait présenter à elle pouvait-il ignorer son nom. J'étais si étonné que je
restai un moment sans répondre. «En tous cas, tous mes compliments, me dit-il, tu n'as
pas dû t'embêter avec elle. Je l'avais rencontrée quelques jours auparavant dans le train de
Ceinture. Elle voulut bien dénouer la sienne en faveur de ton serviteur, je n'ai jamais
passé de si bons moments et nous allions prendre toutes dispositions pour nous revoir
quand une personne qu'elle connaissait eut le mauvais goût de monter à l'avant-dernière
station.» Le silence que je gardais ne parut pas plaire à Bloch. «J'espérais, me dit-il,
connaître grâce à toi son adresse et aller goûter chez elle plusieurs fois par semaine, les
plaisirs d'Eros, chers aux Dieux, mais je n'insiste pas puisque tu poses pour la discrétion à
l'égard d'une professionnelle qui s'est donnée à moi trois fois de suite et de la manière la
plus raffinée entre Paris et le Point-du-Jour. Je la retrouverai bien un soir ou l'autre.»
J'allai voir Bloch à la suite de ce dîner, il me rendit ma visite, mais j'étais sorti et il fut
aperçu, me demandant, par Françoise, laquelle par hasard bien qu'il fût venu à Combray
ne l'avait jamais vu jusque-là. De sorte qu'elle savait seulement qu'un «des Monsieurs»
que je connaissais était passé pour me voir, elle ignorait «à quel effet», vêtu d'une
manière quelconque et qui ne lui avait pas fait grande impression. Or j'avais beau savoir
que certaines idées sociales de Françoise me resteraient toujours impénétrables, qui
reposaient peut-être en partie sur des confusions entre des mots, des noms qu'elle avait
pris une fois, et à jamais, les uns pour les autres, je ne pus m'empêcher, moi qui avais
depuis longtemps renoncé à me poser des questions dans ces cas-là, de chercher
vainement, d'ailleurs, ce que le nom de Bloch pouvait représenter d'immense pour
Françoise. Car à peine lui eus-je dit que ce jeune homme qu'elle avait aperçu était M.
Bloch, elle recula de quelques pas tant furent grandes sa stupeur et sa déception.
«Comment, c'est cela, M. Bloch!» s'écria-t-elle d'un air atterré comme si un personnage
aussi prestigieux eût dû posséder une apparence qui «fît connaître» immédiatement qu'on
se trouvait en présence d'un grand de la terre, et à la façon de quelqu'un qui trouve qu'un
personnage historique n'est pas à la hauteur de sa réputation, elle répétait d'un ton
impressionné, et où on sentait pour l'avenir les germes d'un scepticisme universel:
«Comment c'est ça M. Bloch! Ah! vraiment on ne dirait pas à le voir.» Elle avait l'air de
m'en garder rancune comme si je lui eusse jamais «surfait» Bloch. Et pourtant elle eut la
bonté d'ajouter: «Hé bien, tout M. Bloch qu'il est, Monsieur peut dire qu'il est
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.