A LOmbre Des Jeunes Filles en Fleurs, vol 1 | Page 6

Marcel Proust
Commission, o�� il si��geait �� c?t�� de mon p��re, et o�� chacun f��licitait celui-ci de l'amiti�� que lui t��moignait l'ancien ambassadeur. Elle ��tonnait mon p��re tout le premier. Car ��tant g��n��ralement peu aimable, il avait l'habitude de n'��tre pas recherch�� en dehors du cercle de ses intimes et l'avouait avec simplicit��. Il avait conscience qu'il y avait dans les avances du diplomate, un effet de ce point de vue tout individuel o�� chacun se place pour d��cider de ses sympathies, et d'o�� toutes les qualit��s intellectuelles ou la sensibilit�� d'une personne ne seront pas aupr��s de l'un de nous qu'elle ennuie ou agace une aussi bonne recommandation que la rondeur et la gaiet�� d'une autre qui passerait, aux yeux de beaucoup pour vide, frivole et nulle. ?De Norpois m'a invit�� de nouveau �� d?ner; c'est extraordinaire; tout le monde en est stup��fait �� la Commission o�� il n'a de relations priv��es avec personne. Je suis s?r qu'il va encore me raconter des choses palpitantes sur la guerre de 70.? Mon p��re savait que seul peut-��tre, M. de Norpois avait averti l'Empereur de la puissance grandissante et des intentions belliqueuses de la Prusse, et que Bismarck avait pour son intelligence une estime particuli��re. Derni��rement encore, �� l'Op��ra, pendant le gala offert au roi Th��odose, les journaux avaient remarqu�� l'entretien prolong�� que le souverain avait accord�� �� M. de Norpois. ?Il faudra que je sache si cette visite du Roi a vraiment de l'importance, nous dit mon p��re qui s'int��ressait beaucoup �� la politique ��trang��re. Je sais bien que le p��re Norpois est tr��s boutonn��, mais avec moi, il s'ouvre si gentiment.?
Quant �� ma m��re, peut-��tre l'Ambassadeur n'avait-il pas par lui-m��me le genre d'intelligence vers lequel elle se sentait le plus attir��e. Et je dois dire que la conversation de M. de Norpois ��tait un r��pertoire si complet des formes surann��es du langage particuli��res �� une carri��re, �� une classe, et �� un temps -- un temps qui, pour cette carri��re et cette classe-l��, pourrait bien ne pas ��tre tout �� fait aboli -- que je regrette parfois de n'avoir pas retenu purement et simplement les propos que je lui ai entendu tenir. J'aurais ainsi obtenu un effet de d��mod��, �� aussi bon compte et de la m��me fa?on que cet acteur du Palais-Royal �� qui on demandait o�� il pouvait trouver ses surprenants chapeaux et qui r��pondait: ?Je ne trouve pas mes chapeaux. Je les garde.? En un mot, je crois que ma m��re jugeait M. de Norpois un peu ?vieux jeu?, ce qui ��tait loin de lui sembler d��plaisant au point de vue des mani��res, mais la charmait moins dans le domaine, sinon des id��es -- car celles de M. de Norpois ��taient fort modernes -- mais des expressions. Seulement, elle sentait que c'��tait flatter d��licatement son mari que de lui parler avec admiration du diplomate qui lui marquait une pr��dilection si rare. En fortifiant dans l'esprit de mon p��re la bonne opinion qu'il avait de M. de Norpois, et par l�� en le conduisant �� en prendre une bonne aussi de lui-m��me, elle avait conscience de remplir celui de ses devoirs qui consistait �� rendre la vie agr��able �� son ��poux, comme elle faisait quand elle veillait �� ce que la cuisine fut soign��e et le service silencieux. Et comme elle ��tait incapable de mentir �� mon p��re, elle s'entra?nait elle-m��me �� admirer l'Ambassadeur pour pouvoir le louer avec sinc��rit��. D'ailleurs, elle go?tait naturellement son air de bont��, sa politesse un peu d��su��te (et si c��r��monieuse que quand, marchant en redressant sa haute taille, il apercevait ma m��re qui passait en voiture, avant de lui envoyer un coup de chapeau, il jetait au loin un cigare �� peine commenc��); sa conversation si mesur��e, o�� il parlait de lui-m��me le moins possible et tenait toujours compte de ce qui pouvait ��tre agr��able �� l'interlocuteur, sa ponctualit�� tellement surprenante �� r��pondre �� une lettre que quand venant de lui en envoyer une, mon p��re reconnaissait l'��criture de M. de Norpois sur une enveloppe, son premier mouvement ��tait de croire que par mauvaise chance leur correspondance s'��tait crois��e: on e?t dit qu'il existait, pour lui, �� la poste, des lev��es suppl��mentaires et de luxe. Ma m��re s'��merveillait qu'il fut si exact quoique si occup��, si aimable quoique si r��pandu, sans songer que les ?quoique? sont toujours des ?parce que? m��connus, et que (de m��me que les vieillards sont ��tonnants pour leur age, les rois pleins de simplicit��, et les provinciaux au courant de tout) c'��tait les m��mes habitudes qui permettaient �� M. de Norpois de satisfaire �� tant d'occupations et d'��tre si ordonn�� dans ses r��ponses, de plaire dans le monde et d'��tre aimable avec nous. De plus, l'erreur de ma m��re comme celle de toutes les personnes qui ont trop de
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