Éloge du sein des femmes | Page 6

Claude-François-Xavier Mercier de Compiègne
qu'il n'avait pas tort.
Il n'est donc plus étonnant qu'en traduisant l'inimitable Anacréon, un de nos poëtes
français ait dit:
Que ne suis-je la fleur nouvelle
Qu'au matin Climène choisit,
Qui sur le sein de cette
belle
Passe le seul jour qu'elle vit!
Le _Poëte sans fard_ a trouvé fort bon ce souhait, et l'a développé de cette manière:
Hélas! trop cruelle Silvie,
Permettez au moins que j'envie
Le beau sort de certaines
fleurs
Dont vous vous parez avec grâce,
Et dont votre beau teint efface
Toutes les
plus vives couleurs.
Oui: je voudrois être la rose
Que vous placez sur votre sein.

D'une telle métamorphose
Quel est, direz-vous, le dessein?
Le voici: par vos mains
cueillie,
Mon destin seroit des plus doux;
Je n'aurois qu'un seul jour de vie,
Mais je
ne vivrois que pour vous.
Un poëte anacréontique du dix-neuvième siècle, non moins grand admirateur de cette
belle portion des charmes du sexe qui fait tourner la tête au nôtre, exprime ainsi le même
souhait, d'être changé en rose[2]:
AIR: _Je vais quitter ce que j'adore._
Vive, de la métempsycose
Le système consolateur,
Par lui mon esprit se repose
Sur
un avenir enchanteur.
Que mon être se décompose,
L'espoir m'offre un riant tableau:

L'Amour, sous les traits d'une rose,
Me promet un être nouveau.
AIR: _Une fille est un oiseau._
Oh! comme je jouirais
De cette métamorphose!
Sur le sein d'une autre Rose

Comme je m'étalerais!
Centuplant pour plaire à Rose,
De mes doux parfums la dose,

Avec plaisir je m'expose,
A mourir sur ses attraits:
Mourir!... oui; mais je suppose

Que je puis d'une autre chose
Prendre encor la forme après. (_bis_.)
[Note 2: Voy. _Le Bouquet de roses, ou le Chansonnier des Grâces_, première année,
Favre, Palais-Égalité.]
Le plaisant et érotique Le Pays, dans la lettre suivante adressée à sa Caliste, souhaite

aussi de mourir sur son sein:
«Quand je sortis hier de chez vous, j'en sortis avec une bonne résolution de m'aller tuer,
afin d'avoir l'honneur de vous plaire une fois en ma vie, et de vous défaire pour jamais
d'une personne incommode; mais jusques ici je n'ai pas exécuté mon dessein, à cause de
l'embarras où je me suis trouvé à choisir un genre de mort. J'eus d'abord envie d'imiter
feu Céladon, d'amoureuse mémoire, et de m'aller précipiter dans la rivière; mais j'eus
peur que l'eau ne me rejetât sur les bords, aussi bien que lui, et que je ne fusse recueilli
par quelques nymphes pitoyables qui, malgré moi, me sauvassent la vie. Il me prit aussi
fantaisie de m'aller pendre à votre porte, à l'imitation du pendart Iphis; mais je m'imaginai
que ce seroit vous déshonorer que de faire un gibet de votre porte; outre que c'est un
genre de mort pour lequel j'ai eu de l'aversion dès le temps que j'étois petit enfant. Je
pensai aussi à m'empoisonner, mais je crus que du poison ne seroit pas capable de m'ôter
la vie, non plus qu'à Mithridate, à cause de la grande habitude que j'en ai faite. N'étant pas
mort depuis si longtemps que je me nourris de crainte, de chagrin, d'inquiétude et de
désespoir, qui sont les poisons du monde les plus violents, apparemment je ne pourrois
pas mourir pour prendre de l'arsenic ou de l'antimoine. Je n'oubliai pas aussi qu'un
poignard mis dans le sein étoit un bon expédient pour mourir: mais je crus que je ne
devois pas choisir ce genre de mort qu'avoit choisi une femme qui mourut de regret
d'avoir fait une chose que je meurs de regret de ne pouvoir faire. Mon désespoir est trop
différent de celui de Lucrèce, pour ne pas mourir d'une mort différente. Enfin, Caliste, j'ai
passé la nuit à chercher sans pouvoir trouver la mort dont je devois mourir. Au reste, ne
croyez pas que ce soit la mort qui m'étonne, ce n'est que la manière de mourir qui
m'inquiète: car, pour vous dire le vrai, après avoir vécu avec tant de chagrin, je voudrois
bien mourir d'une mort qui me donnât un peu de plaisir. Je viens de penser à une qui
seroit très-bien mon affaire: ce seroit, Caliste, de mourir entre vos bras, _pâmé sur votre
sein_. Je sens bien en mon coeur que je n'ai pas d'horreur pour cette mort comme pour se
noyer, s'empoisonner, se pendre ou se poignarder. Obligez-moi donc en me laissant
mourir de cette sorte; car, puisqu'enfin vous voulez que je meure, que vous importe que
ce soit de douleur ou de plaisir?»
Je serais tenté de croire qu'il y a, dans le charme attaché à une belle gorge, un talisman,
de la magie et de l'enchantement; ce qui pourtant détruit cette idée, c'est le sonnet suivant,
adressé à des belles qui demandaient un secret, un sortilége et des paroles magiques pour
se faire aimer:
Pourquoi me demander la ruse criminelle
Par quoi l'art des démons met les coeurs dans
les fers? Vous, de qui la magie est blanche et naturelle,
Et fait qu'à vos appas tant de
voeux sont offerts.
Par
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