se connaissent en attraits) que l'on mit sous la croix, dans le beau désordre de la
douleur, les trois filles les plus ravissantes. On eût pris chacune d'elle pour Vénus, ou
toutes trois pour les Grâces. Elles ne furent pas plutôt sous les yeux du crucifié, qu'elles
firent miracle, je veux dire que, malgré la situation où il était, et la majesté de son
personnage, les trois Maries produisirent l'effet le plus étonnant que puisse peindre la
chronique scandaleuse. Notre Hercule galant, posté à l'avantage, avait en perspective une
demi-douzaine de tétons capables, par leur systole et leur diastole, de subjuguer la vertu
du plus froid anachorète, ce qui occasionna un incident très-comique et très-profane, car
le crucifié, au lieu de prononcer du haut de sa croix des paroles dignes de celui qu'il
représentait, prononça des turpitudes dignes de l'abolition éternelle d'une cérémonie aussi
indécente, et telles en un mot qu'on peut les deviner. Enfin, n'y pouvant plus tenir, il ne
put s'empêcher de crier: «Otez donc de devant mes yeux les trois Maries, ou le papier va
crever.» Le scandale que fit naître une telle action, et des paroles qui compromettaient à
ce point la religion, firent rentrer l'archevêque en lui-même, et lui firent comprendre
qu'elles l'exposaient à la risée publique. Il supprima donc un usage, ou plutôt un abus qui
tendait directement au mépris du culte, de manière qu'il n'en fut plus parlé depuis[1].
[Note 1: Évariste Parny, auteur, en l'an VII, du poëme de la _Guerre des Dieux_, dans
lequel on ne reconnaît plus le chantre délicatement voluptueux d'_Éléonore_, du
_Lendemain_, et de la _Journée champêtre_, a fait usage de cette anecdote dans le
deuxième chant de ce poëme, première édition. Il l'a supprimée dans la seconde édition,
et c'est peut-être un second tort. C'est dans cet Éloge qu'il a trouvé ce mystère qu'il fait
jouer à la famille de Dieu: il n'a donc pas eu le mérite d'une grande invention dans ce
poëme.
Pensant que le lecteur en sera satisfait, nous reproduisons ce morceau, qui du reste tient
ici naturellement sa place:
Du Paradis la troupe infatigable,
Pour terminer, joua la Passion,
Et joua bien. Les
conviés, dit-on,
Goûtèrent peu ce drame lamentable.
Mais un malheur qu'on n'avait
pas prévu
Du dénouement égaya la tristesse:
Bien flagellé, le héros de la pièce
Était
déjà sur la croix étendu.
On choisissait pour ce rôle pénible
Un jeune acteur
intelligent, sensible,
Beau, vigoureux, et sachant bien mourir,
Il était nu des pieds
jusqu'à la tête:
Un blanc papier qu'une ficelle arrête
Couvrait pourtant ce que l'on doit
couvrir.
Charmante encore après sa pénitence,
La Magdelène au pied de la potence
Versait des pleurs: ses longs cheveux épars,
Son joli sein qui jamais ne repose,
Du
crucifié attirait les regards.
Il voyait tout, jusqu'au bouton de rose;
Quelquefois même
il voyait au-delà.
Prêt à mourir, cet aspect le troubla.
Il tenait bon; mais quelle fut sa
peine,
Quand le feuillet vint à se soulever!
«Otez, dit-il, ôtez la Magdelène!
Otez-la
donc, le papier va crever.»
Soudain il crève; et la Vierge elle-même
Pour ne pas rire a
fait un vain effort.
«Le tour est bon, dit le Père suprême,
On le voit bien, le drôle n'est
pas mort.»]
Un peintre peut venir à bout de représenter aux yeux toutes les grâces d'un beau visage. Il
échoue ordinairement, quand il essaye de peindre une belle gorge. La Motte en pourrait
être une preuve dans le portrait suivant:
Toi, par qui ta toile s'anime.
Peintre savant, prends ton pinceau:
Et qu'à mes yeux ton
art exprime
Tout ce qu'ils ont vu de plus beau.
Ne m'entends-tu pas? peins Silvie:
Mais choisis l'instant fortuné
Où, pour le reste de
ma vie,
Mon coeur lui fut abandonné.
Au bal, en habit d'Espagnole,
Elle ôtoit un masque jaloux,
Plus promptement qu'un
trait ne vole,
Je fus percé de mille coups.
Peins ses yeux doux et pleins de flamme,
D'où l'Amour me lança ses traits;
D'où ce
Dieu s'asservit mon âme,
En un instant et pour jamais.
Peins son front plus blanc que l'ivoire.
Siége de l'aimable candeur;
Ce front, dont
Vénus feroit gloire.
S'il y brilloit moins de pudeur.
Poursuis, peins l'une et l'autre joue,
La honte des roses, des lis;
Et sa bouche où
l'Amour se joue,
Avec un éternel souris.
Peins sa gorge.... Mais non: arrête....
Ici, ton art est surmonté;
Ah! quelques couleurs
qu'il apprête,
Tu n'en peux rendre la beauté.
Laisse cet inutile ouvrage;
Ah! de l'objet de mon ardeur
Il n'est qu'une fidelle image:
Que l'Amour grava dans mon coeur.
La pièce suivante prouve que la gorge des mortelles est digne de plus d'amour et
d'admiration que celle des déesses même, et que ces dernières en conviennent, ce qui est
plus extraordinaire encore:
Au temps de l'aimable saison,
Iris rêvant dans la prairie,
S'endormit sur un mol gazon
Tapissé d'une herbe fleurie.
Zéphire, charmé de son teint,
Qui d'un vif incarnat se
peint,
Vint d'abord faire le folâtre,
Autour de sa gorge d'albâtre.
Jalouse d'un
transport si doux,
Flore gronda son infidelle,
Et lui dit, pleine de courroux:
Me
préférer une mortelle!
Zéphire qui se sentoit fort,
Reparti: Voyez cette belle!
Flore
jeta les yeux sur elle,
Et convint
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