Éloge du sein des femmes | Page 5

Claude-François-Xavier Mercier de Compiègne
peindre la chronique scandaleuse. Notre Hercule galant, posté à l'avantage, avait en perspective une demi-douzaine de tétons capables, par leur systole et leur diastole, de subjuguer la vertu du plus froid anachorète, ce qui occasionna un incident très-comique et très-profane, car le crucifié, au lieu de prononcer du haut de sa croix des paroles dignes de celui qu'il représentait, pronon?a des turpitudes dignes de l'abolition éternelle d'une cérémonie aussi indécente, et telles en un mot qu'on peut les deviner. Enfin, n'y pouvant plus tenir, il ne put s'empêcher de crier: ?Otez donc de devant mes yeux les trois Maries, ou le papier va crever.? Le scandale que fit na?tre une telle action, et des paroles qui compromettaient à ce point la religion, firent rentrer l'archevêque en lui-même, et lui firent comprendre qu'elles l'exposaient à la risée publique. Il supprima donc un usage, ou plut?t un abus qui tendait directement au mépris du culte, de manière qu'il n'en fut plus parlé depuis[1].
[Note 1: évariste Parny, auteur, en l'an VII, du po?me de la _Guerre des Dieux_, dans lequel on ne reconna?t plus le chantre délicatement voluptueux d'_éléonore_, du _Lendemain_, et de la _Journée champêtre_, a fait usage de cette anecdote dans le deuxième chant de ce po?me, première édition. Il l'a supprimée dans la seconde édition, et c'est peut-être un second tort. C'est dans cet éloge qu'il a trouvé ce mystère qu'il fait jouer à la famille de Dieu: il n'a donc pas eu le mérite d'une grande invention dans ce po?me.
Pensant que le lecteur en sera satisfait, nous reproduisons ce morceau, qui du reste tient ici naturellement sa place:
Du Paradis la troupe infatigable,?Pour terminer, joua la Passion,?Et joua bien. Les conviés, dit-on,?Go?tèrent peu ce drame lamentable.?Mais un malheur qu'on n'avait pas prévu?Du dénouement égaya la tristesse:?Bien flagellé, le héros de la pièce?était déjà sur la croix étendu.?On choisissait pour ce r?le pénible?Un jeune acteur intelligent, sensible,?Beau, vigoureux, et sachant bien mourir,?Il était nu des pieds jusqu'à la tête:?Un blanc papier qu'une ficelle arrête?Couvrait pourtant ce que l'on doit couvrir.?Charmante encore après sa pénitence,?La Magdelène au pied de la potence?Versait des pleurs: ses longs cheveux épars,?Son joli sein qui jamais ne repose,?Du crucifié attirait les regards.?Il voyait tout, jusqu'au bouton de rose;?Quelquefois même il voyait au-delà.?Prêt à mourir, cet aspect le troubla.?Il tenait bon; mais quelle fut sa peine,?Quand le feuillet vint à se soulever!??Otez, dit-il, ?tez la Magdelène!?Otez-la donc, le papier va crever.??Soudain il crève; et la Vierge elle-même?Pour ne pas rire a fait un vain effort.??Le tour est bon, dit le Père suprême,?On le voit bien, le dr?le n'est pas mort.?]
Un peintre peut venir à bout de représenter aux yeux toutes les graces d'un beau visage. Il échoue ordinairement, quand il essaye de peindre une belle gorge. La Motte en pourrait être une preuve dans le portrait suivant:
Toi, par qui ta toile s'anime.?Peintre savant, prends ton pinceau:?Et qu'à mes yeux ton art exprime?Tout ce qu'ils ont vu de plus beau.
Ne m'entends-tu pas? peins Silvie:?Mais choisis l'instant fortuné?Où, pour le reste de ma vie,?Mon coeur lui fut abandonné.
Au bal, en habit d'Espagnole,?Elle ?toit un masque jaloux,?Plus promptement qu'un trait ne vole,?Je fus percé de mille coups.
Peins ses yeux doux et pleins de flamme,?D'où l'Amour me lan?a ses traits;?D'où ce Dieu s'asservit mon ame,?En un instant et pour jamais.
Peins son front plus blanc que l'ivoire.?Siége de l'aimable candeur;?Ce front, dont Vénus feroit gloire.?S'il y brilloit moins de pudeur.
Poursuis, peins l'une et l'autre joue,?La honte des roses, des lis;?Et sa bouche où l'Amour se joue,?Avec un éternel souris.
Peins sa gorge.... Mais non: arrête....?Ici, ton art est surmonté;?Ah! quelques couleurs qu'il apprête,?Tu n'en peux rendre la beauté.
Laisse cet inutile ouvrage;?Ah! de l'objet de mon ardeur?Il n'est qu'une fidelle image:?Que l'Amour grava dans mon coeur.
La pièce suivante prouve que la gorge des mortelles est digne de plus d'amour et d'admiration que celle des déesses même, et que ces dernières en conviennent, ce qui est plus extraordinaire encore:
Au temps de l'aimable saison,?Iris rêvant dans la prairie,?S'endormit sur un mol gazon?Tapissé d'une herbe fleurie.?Zéphire, charmé de son teint,?Qui d'un vif incarnat se peint,?Vint d'abord faire le folatre,?Autour de sa gorge d'albatre.?Jalouse d'un transport si doux,?Flore gronda son infidelle,?Et lui dit, pleine de courroux:?Me préférer une mortelle!?Zéphire qui se sentoit fort,?Reparti: Voyez cette belle!?Flore jeta les yeux sur elle,?Et convint qu'il n'avait pas tort.
Il n'est donc plus étonnant qu'en traduisant l'inimitable Anacréon, un de nos po?tes fran?ais ait dit:
Que ne suis-je la fleur nouvelle?Qu'au matin Climène choisit,?Qui sur le sein de cette belle?Passe le seul jour qu'elle vit!
Le _Po?te sans fard_ a trouvé fort bon ce souhait, et l'a développé de cette manière:
Hélas! trop cruelle Silvie,?Permettez au moins que j'envie?Le beau sort de certaines fleurs?Dont vous vous parez avec grace,?Et dont votre beau teint efface?Toutes les plus vives couleurs.?Oui: je voudrois être la rose?Que vous placez sur
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