Éloge du sein des femmes | Page 4

Claude-François-Xavier Mercier de Compiègne
menton me fait souvenir qu'elle en a encore aux joues, ce qui donne une merveilleuse grace au reste de son visage. Pour sa gorge, on peut dire:
Que c'est là que l'Amour, pour lancer tous ses traits,?Entre deux monts d'albatre est campé tout exprès.
?Je te jure, Babet, que je n'ai jamais rien vu de si aimable; si mon _galérien de coeur_, qui n'échappe jamais d'une cha?ne que pour tomber dans une autre, ne se contentait de la gloire de tes fers:
Ma constance ébranlée allait faire naufrage.?
N'est-ce pas la jolie gorge de Dorimène qui fait ainsi délirer Sganarelle, lorsqu'il dit:
?Où allez-vous, belle mignonne, chère épouse future de votre époux futur? Eh bien! ma belle, c'est maintenant que nous allons être heureux l'un et l'autre! vous ne serez plus en droit de me rien refuser; je pourrai faire avec vous tout ce qui me plaira, sans que personne s'en scandalise. Vous allez être à moi, depuis la tête jusqu'aux pieds, et je serai le ma?tre de tout! de vos petits yeux éveillés, de votre petit nez fripon, de vos lèvres appétissantes, de votre petit menton, de vos petits tétons rondelets, de votre, etc. Enfin toute votre personne sera à ma discrétion, et je serai à même pour vous caresser comme je voudrai. N'êtes-vous pas bien aise de ce mariage, mon aimable pouponne??
On croira peut-être que ce discours de Sganarelle est une gradation, et que ce qu'il laisse en blanc, est le plus fort objet de sa passion; je le veux bien, mais en ce cas, il a le go?t un peu trop terrestre et grossier. Tel est celui de l'auteur des vers suivants, à sa ma?tresse, sur un mal de gorge:
Il est bien peu galant de vous prendre à la gorge,?Ce mal qui dedans vous regorge;?C'est être à vous saisir un des plus maladroits;?Si j'avois, comme lui, sur vous droit de m'étendre,?Et, comme lui, le choix de ce qu'on peut vous prendre,?Je vous saisirois bien par des meilleurs endroits.
Que dira-t-on de la pensée d'un autre auteur qui dit: l'amour ressemble à un jeu de paume; quand une fille se laisse baiser la main, cela vaut quinze; si elle souffre que l'on prenne un baiser sur ses lèvres, cela vaut trente; si elle permet que ce soit sur la gorge, cela vaut quarante-cinq: il ne faut plus qu'un coup, et le jeu est gagné.
Je raconterai l'histoire suivante, parce qu'elle est vraie:
?On a souvent parlé de la force du sang, mais on n'a pas aussi souvent parlé de la gorge; quoi-qu'avec beaucoup de raison, on appelle aujourd'hui les tétons, le _boute-en-train_. Le fait suivant prouve admirablement leur vertu, qu'on peut nommer de résurrection, et de résurrection de la chair. Dans la plupart des églises papistes où la superstition était dominante, il se faisait des cérémonies tout à fait extravagantes. La ville de... était un des plus fameux théatres de ces représentations de mystères ridiculement fanatiques. C'était une coutume établie de temps immémorial, de représenter chaque année, dans la semaine sainte, les mystères de la passion. Pour aller au solide, sans s'amuser à la bagatelle, on ne manquait pas, le jour du vendredi saint, d'offrir aux dévots spectateurs une scène burlesque du crucifiement du Sauveur du monde. On choisissait pour cela un jeune homme de la ville, auquel on faisait porter une croix fort pesante, à laquelle on l'attachait avec des cordes au lieu de clous, et dans une nudité presque complète. Je dis presque, parce que l'impudeur n'était pas encore parvenue au point de dévoiler certaines parties qui doivent être cachées. On les voila donc chez notre jeune homme avec une ceinture de papier. Il faut remarquer que le jouvenceau était le corps du monde le mieux formé, le plus vigoureux en apparence, et de la plus belle carrure d'épaules. Et que la même coutume faisait choisir entre les plus belles filles de la ville, trois tendrons qu'on aurait pris pour des Vénus, pour représenter les trois Maries pleurantes au pied de la croix. On n'avait pas seulement égard aux traits réguliers du visage, ni à la finesse de la taille, on voulait qu'elles fussent encore richement pourvues du grand mobile de la tendresse, je veux dire fournies de tétons à l'Anglaise, que l'on laissait en pleine liberté d'émouvoir la copie du Christ. Or, l'année où se passa le fait que je raconte, le choix fut si bon (les prêtres se connaissent en attraits) que l'on mit sous la croix, dans le beau désordre de la douleur, les trois filles les plus ravissantes. On e?t pris chacune d'elle pour Vénus, ou toutes trois pour les Graces. Elles ne furent pas plut?t sous les yeux du crucifié, qu'elles firent miracle, je veux dire que, malgré la situation où il était, et la majesté de son personnage, les trois Maries produisirent l'effet le plus étonnant que puisse
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