lAutomne dune femme | Page 6

Marcel Prévost
Huguet s'essuya le visage, posa son mouchoir sur la table. Mme Surg��re attendait, les yeux attach��s �� terre.
--Ma ch��re fille, dit-il apr��s un instant de m��ditation, vous avez une ame droite, et elle vous a inspir�� de venir me trouver �� temps... Certes, dans votre tendresse pour ce jeune homme, vos intentions sont pures, j'en suis certain; mais les siennes ne le sont point, n'est-ce pas? et alors, ou bien vous aurez �� soutenir une lutte de plus en plus difficile, une de ces luttes dans lesquelles une honn��te femme laisse �� chaque fois un peu de sa pudeur... ou bien vous succomberez... Oui, mon enfant, vous succomberez, r��p��ta-t-il en accentuant le mot pour r��pondre �� un tressaillement de Mme Surg��re... Vous me dites aujourd'hui que c'est impossible... vous le croyez, vous avez raison. C'est effectivement impossible aujourd'hui, mais un peu moins qu'hier, et cela le sera encore un peu moins demain,--jusqu'�� ce qu'il suffise d'un rien, d'un choc imperceptible pour vous faire tomber.
Il arrangea sym��triquement quelques porte-plumes sur son bureau, puis il reprit, non sans ��motion dans la voix:
--Vous tomberez, et ce sera un grand malheur, ma ch��re fille. Vous avez su traverser le monde sans rien perdre de votre puret��, ce qui est rare. Vous ��tes parmi les ames confi��es �� ma direction une de celles �� qui je pense volontiers pour me reposer de toutes sortes de tristes choses que je vois ou que j'entrevois autour de moi... Je me dis alors: ?Celle-l��, au moins, est tout �� fait intacte,? et j'en rends grace �� Dieu. Vous ��tes rest��e parfaitement pure et vous y avez eu du m��rite, puisque votre mari n'a pas ��t�� pour vous un compagnon fid��le, d'abord, et que depuis sa maladie c'est un infirme dans votre maison... Si j'apprenais un jour que vous avez c��d��, comme les autres, il me semblerait qu'on m'annonce la mort de votre ame.
Il avait volontiers ces paroles enveloppantes, ces sortes de caresses spirituelles, qui troublent les femmes dans leurs nerfs. Mme Surg��re pleurait. Il lui prit la main:
--J'aurais beaucoup de chagrin... Ne croyez pas que vous serez heureuse, vous non plus. Vous aurez une fi��vre qui vous obscurcira les yeux; vous voudrez vous persuader que c'est du bonheur, parce que vous aurez peur de vous avouer �� vous-m��me que votre d��ch��ance n'est pas, au moins, pay��e par du bonheur. Mais vous conna?trez de cruels retours sur vous-m��me. Toutes les femmes qui tombent les ��prouvent, les plus folles m��me. Elles ont beau se monter la t��te, s'��tourdir, elles se rendent compte qu'elles font mal, �� certains moments. Ah! j'en ai vu qui raisonnaient, qui se rebellaient contre cet arr��t de leur conscience, qui se disaient: ?Mais, enfin, qu'est-ce que je fais de coupable?... Je suis libre;? ou bien: ?Mon mari me trompe, ma conduite lui est indiff��rente... J'aime un homme qui m'aime, je lui suis fid��le... O�� est le mal?...? Et leur raison n'a pas d'argument �� opposer. Seulement, au fond de leur conscience, une voix un peu sourde, mais opiniatre, r��plique: ?C'est mal, c'est mal!...? et l'on dirait d'un tic-tac d'horloge qu'on oublie le jour parmi le bruit ambiant, mais qui s'exasp��re dans le silence et l'obscurit�� de la nuit jusqu'�� chasser le sommeil... C'est que, malgr�� tous les raisonnements du monde, il y a ici-bas quelque chose de mal dans l'amour, d��s qu'il est �� lui-m��me son but. L'humanit�� devine cela vaguement et ne se l'explique point. L'��glise seule tranche la question en disant: ?C'est mal parce que c'est interdit...? Et des philosophes comme Pascal, apr��s avoir fait le tour de leur esprit, s'arr��tent �� la raison de l'��glise. Voil��, ma ch��re fille, la d��ch��ance dont je ne veux pas pour vous.
Mme Surg��re murmura:
--Soit... mais que faire? Dites-moi ce que je dois faire, mon p��re, je le ferai...
Elle ��tait sinc��re. Les paroles de l'abb�� sur la chute possible, sur la d��ch��ance par l'amour, l'avaient ��pouvant��e, comme si on lui e?t montr�� un pr��cipice de boue ouvert devant elle.
--Il faut ��loigner ce jeune homme!
Elle palit; et son ��motion fut si violente que ses l��vres se tordirent sans pouvoir prononcer un mot.
--Vous voyez bien que vous l'aimez d��j��! dit l'abb�� tristement.
Elle balbutia, sans oser regarder le pr��tre:
--Mais c'est impossible de l'��loigner, mon p��re! cela ne d��pend pas de moi. Je n'ai aucune autorit�� sur lui. Et puis, m��me s'il y consent, quelles raisons donner �� mon mari et �� M. Esquier, qui d��sirent le garder �� la maison?
--Aussi n'est-ce pas �� M. Esquier ni �� votre mari que vous vous adresserez... C'est �� ce jeune homme lui-m��me... Vous lui ordonnerez... vous le prierez de partir.
--Et s'il ne veut pas?
--Il voudra, si vous lui parlez d'une certaine fa?on... Repr��sentez-lui que vous ��tes r��solue sinc��rement, sans aucun artifice de coquetterie, �� ne jamais lui c��der... que d��s lors un rapprochement de
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