une affection que je comprends; car, si quelquefois ces rudes serviteurs ont des caprices, et qui n'en a pas! souvent ils montrent leur reconnaissance, en léchant la main qui les nourrit; et surtout jamais ils ne disent du mal de vous. Il y a cependant des savants qui ne connaissent ces nobles bêtes que sous le nom de moteurs animés.
Avez-vous jamais, lecteur, conduit à grandes guides un quadrige de superbes normands ou de vigoureux Percherons?
Je pourrais, je crois, parier cent contre un, que cela ne vous est jamais arrivé.
Avez-vous jamais dirigé une véritable locomotive?
Il y a encore moins de chances pour que vous me donniez une réponse affirmative.
Eh bien! par extraordinaire et volontairement, je me suis trouvé dans des circonstances qui m'ont permis de me livrer à ces deux exercices.
De 1841 à 1845, avant l'ouverture du chemin de fer du Nord, pour le service de la navigation, j'allais plusieurs fois la semaine à Pontoise, par la berline qui, en partant de Paris, traversait les Champs-Elysées.
Du conducteur je m'étais fait un ami, pour que cette liaison me m?t en rapport direct avec ses magnifiques gris-pommelés.
J'avais obtenu la faveur de me placer à c?té de lui sur son siège, et tout naturellement ses guides passaient souvent de ses mains dans les miennes; car les hommes de travail perdent rarement une bonne occasion qui se présente de se reposer.
Quelques années plus tard, en 1848, allant tous les jours de Paris à Versailles, pour le chemin de fer de Rennes, je montais très souvent sur la locomotive à c?té du mécanicien, alors sans aucun abri, afin de m'initier aux détails pratiques de son métier (car dans cette année d'effervescence générale, les ingénieurs furent obligés plusieurs fois d'assurer eux-mêmes le service). Souvent ma main novice maniait sous ses yeux le régulateur, et la machine docile m'obéissait comme à son véritable ma?tre.
Vous me croirez sans peine si je vous dis que j'avais infiniment plus de plaisir et d'émotions à contenir, exciter, entendre hennir et voir piaffer les coursiers de mon Four in hand, qu'à entendre souffler, siffler et grincer sous ma main la locomotive de Versailles R. G.
Pour conserver ce qu'ils appelaient leur cavalerie, en échange de leurs brevets aristocratiques de Ma?tres de Poste, MM. Dailly et Mottard, ont obtenu à Paris et à Lyon des concessions d'omnibus qui sont remplacés déjà par les tramways plus démocratiques encore.
Sic transit gloria mundi, qu'on peut traduire ainsi en s'inspirant de Lamartine:
Ainsi tout change, ainsi tout passe, Ainsi nous-mêmes nous passons Sur le railway qui prend la place De la poste et des postillons.
Tout ce que je viens de dire pourrait s'intituler: Exposé théorique de la poste aux chevaux; la pratique souvent n'était pas aussi brillante.
Le mauvais état général des routes, surtout en hiver, leurs lacunes nombreuses et le manque de ponts sur le plus grand nombre des rivières, rendaient les voyages très difficiles.
Pour vous donner une idée vraie sur ce point des moeurs et usages du vieux temps, je me propose de faire passer sous vos yeux, si mon livre y est encore, quelques épisodes de mes voyages et de ceux de ma famille, que j'ai retrouvés, partie dans mes souvenirs, partie dans des manuscrits authentiques que j'ai eu la chance heureuse de rencontrer.
Cela fera l'objet des chapitres suivants.
CHAPITRE II
Qui contient des extraits authentiques du Journal de voyage en Italie et Sicile d'Antoine-Henri Jordan, fils et petit-fils d'échevin, en 1787 et 1788, et quelques autres choses.
Au commencement du XVIIIe siècle vivait à Lyon Henri Jordan, fils d'Abraham et petit-fils de Lantelme dont le testament est de 1611; ce Jordan, premier du nom de Henri, était marié à Jeanne de Gérando.
Son fils, Henri Jordan l'a?né, qui fut échevin en 1779 et 1780, avait épousé Magdeleine Briasson, fille de Charles-Claude Briasson, échevin lui-même en 1757 et 1758.
M. Briasson était fabricant d'étoffes de soie; c'est une tradition de famille qu'il avait mis quelques années pour faire sa fortune, toujours avec les deux mêmes dessins: ses robes à l'éclipse et ses robes à la comète avaient brillé d'un vif éclat sur les paniers des grandes dames, dans les salons de Versailles.
Que les temps sont changés! combien aujourd'hui faut-il d'années, et combien de dessins par année, à un fabricant pour faire sa fortune, quand il y arrive?
Une autre fille de M. Briasson avait été mariée au père du baron Rambaud, qui fut maire de Lyon de 1818 à 1826.
Henri Jordan, l'échevin, n'eut qu'un fils, Antoine-Henri, et trois filles, Mmes Vionnet, Coste et Bergasse.
Pierre Jordan, frère de l'échevin, marié à élisabeth Périer de Grenoble (tante du célèbre Casimir), eut cinq fils qui furent des hommes distingués, ainsi que leurs descendants:
Alexandre Jordan, receveur des finances, père d'Alexandre Jordan, ingénieur en chef des ponts et chaussées, grand-père de Camille Jordan, ingénieur des mines, membre de l'Institut, et de Mme Giraud-Jordan, fille de Camille Jordan, magistrat;
Camille Jordan,
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