grandes ressources qu’on ait dans ce pays-là, quand on n’a
personne à qui l’on puisse confier ses peines secretes. Il n’y a qu’à aller
trouver un echo, sur-tout si c’est un echo femelle, et en voilà pour aussi
long-tems qu’on veut.
CHAPITRE 3
Suite du chapitre précédent.
Les arbres de la romancie sont en général à peu près faits comme les
nôtres; mais il y a pourtant sur cela des remarques importantes à faire.
Car outre que leur feüillage est toûjours d’un beau verd, leur ombrage
délicieux, leurs fruits beaucoup meilleurs que les nôtres, c’est dans la
romancie seule qu’on trouve de ces arbres si précieux et si rares, dont
les uns portent des rameaux d’or, et les autres des pommes d’or. Mais il
est vrai que s’il est rare de les rencontrer, il est encore plus difficile
d’en approcher et d’en cueillir les fruits, parce qu’ils sont tous gardés
par des dragons ou des geants terribles, dont la vûe seule porte la
frayeur dans les ames les plus intrépides. En vain se flateroit-on de
pouvoir tromper leur vigilance; ils ont toûjours les yeux ouverts, et ne
connoissent pas les douceurs du sommeil. D’un autre côté entreprendre
de les forcer, c’est s’exposer à une mort certaine; de sorte qu’il faut
renoncer à l’espoir de cueillir jamais des fruits si précieux, à moins
qu’on ne soit favorisé de quelque protection particuliere: alors il n’y a
rien de si aisé. Une petite herbe qu’on porte sur soi, un miroir qu’on
montre au dragon ou au geant, une baguette dont on les touche, un
brevage qu’on leur présente, le moindre petit charme les assoupit; après
quoi il est facile de leur couper la tête, et de se mettre ainsi en
possession de tous les trésors dont ils sont les gardiens. Je dois pourtant
avertir que ce que j’en dis ici n’est que sur le rapport d’autrui; car
comme ces arbres sont fort rares, je n’en ai point trouvé sur ma route, et
je n’ai eu d’ailleurs aucun intérêt d’en aller chercher. Mais une chose
que j’ai vûe, et qu’on doit regarder comme certaine, c’est le goût que
les arbres ont dans ce pays-là pour la musique. Voici un fait qui m’est
arrivé, et qui me causa dans le tems beaucoup de surprise.
Un jour que je m’étois abandonné au sommeil dans un charmant
bocage de jeunes maronniers, je fus fort étonné à mon réveil de me
trouver exposé aux ardeurs du soleil, et entierement à découvert, sans
que je pûsse imaginer ce qu’étoient devenus les arbres qui m’avoient
prêté leur ombre il n’y avoit qu’un moment. Mais en regardant de tous
cotés, je les apperçus déja un peu loin qui marchoient comme en
cadence vers une petite plaine, où un excellent joueur de luth les attiroit
à lui, par le son harmonieux de son instrument. Quelques rochers
s’étoient mis de leur compagnie avec tout ce qu’il y avoit de lions, de
tigres et d’ours dans ce canton. C’est un des spectacles qui m’ayent fait
le plus de plaisir dans tout le cours de mon voyage.
Pour ce qui est de ce que j’avois entendu raconter à un historien célebre,
que les arbres avoient entr’eux une langue fort intelligible pour
s’entretenir ensemble, lorsqu’un vent doux et leger agitoit l’extrémité
de leurs branches, j’ai eû beau m’y rendre attentif dans les diverses
forêts que j’ai vûes; il faut ou que cette observation m’ait échappé, ou
plûtôt que le fait ne soit pas vrai, d’autant plus que cet historien n’est
pas toûjours exact dans ses récits. Il n’en est pas ainsi de ceux qui ont
assuré que les arbres servoient de demeure à des divinités champêtres;
car c’est un fait avéré, dont j’ai été souvent témoin. Rien même n’est
plus commun sur le soir, lorsque la lune commence à éclairer les
ombres de la nuit, que de voir sur tout les chênes s’entrouvrir, pour
laisser sortir de leur sein les dryades qui y passent la journée, et se
rouvrir le matin à la pointe du jour, pour les recevoir après qu’elles ont
dansé dans les champs avec les nayades. Comme il est aisé de
distinguer les arbres habités de ceux qui ne le sont pas, ils sont
extrêmement respectés, et nul mortel n’a la hardiesse d’y toucher. Si
quelque téméraire osoit y porter la coignée, on en verroit aussi-tôt le
sang couler en abondance; mais son impiété seroit bien-tôt punie. Les
faunes ont aussi leurs arbres comme les dryades, et il y a des marques
pour les distinguer. Mais cela ne laisse pas de donner quelquefois
occasion à des jeux fort plaisants. Au retour du bal un jeune faune va
s’emparer de l’arbre d’une dryade. La dryade arrive et frape à son arbre
pour le faire ouvrir. Qui va là? La place est prise. Il faut composer.
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