devoit pas être éloigné
des deux fontaines, je me hâtai de le chercher, et l’ayant rencontré (car
dans ce pays-là on rencontre toûjours tout ce qu’on cherche) j’en bus
seulement quelques gouttes dans le creux de ma main, et dans l’instant
rendu à moi-même, je sentis un calme doux et tranquille succéder au
trouble qui m’avoit agité.
Je ne dis rien des plantes singulieres que j’observai. On sçait assez que
le pays en est tout couvert. Ce n’est que dans la romancie qu’on trouve
la fameuse herbe moly, et le célébre lotos. Les plantes mêmes que nous
connoissons, et qui croissent aussi dans ce pays-là, y ont une vertu si
admirable qu’on ne peut pas dire que ce soient les mêmes plantes; et je
ne puis à cette occasion m’empêcher d’admirer la simplicité de
l’infortuné chevalier de la Manche, qui crût pouvoir avec les herbes de
son pays composer un baume semblable à celui de Fierabras. Car il est
vrai que nous avons des plantes de même nom; mais il s’en faut
beaucoup qu’elles ayent la même vertu; c’est par cette raison que les
philtres amoureux, les breuvages enchantés, les charmes, et tous les
sorts que nos magiciens entreprennent de composer avec des herbes
magiques ne réussissent point, parce que nous n’avons que des plantes
sans force et sans vertu; et je m’imagine que c’est encore ce qui fait que
nous ne voyons plus de ces baguettes merveilleuses, de ces bagues
surprenantes, de ces talismans, de ces poudres, et mille autres curiosités
pareilles, qui operent tant d’effets prodigieux, parce que nous n’avons
pas dans ce pays-ci la véritable matiere dont elles doivent être
composées.
Mais ce que je ne dois pas oublier, c’est la bonté admirable du climat.
Je n’avois jamais compris dans la lecture des romans comment les
princes et les princesses, les héros et leurs héroïnes, leurs domestiques
mêmes et toute leur suite passoient toute leur vie, sans jamais parler de
boire ni de manger. Car enfin, disois-je, on a beau être amoureux,
passionné, avide de gloire, et héros depuis les pieds jusqu’à la tête:
encore faut-il quelquefois subvenir à un besoin aussi pressant que celui
de la faim. Mais il est vrai que j’ai bien changé d’idée, depuis que j’ai
respiré l’air de la romancie. C’est premierement l’air le plus pur, le plus
serein, le plus sain et le plus invariable qu’on puisse respirer. Aussi
n’a-t-on jamais oüi dire qu’aucun héros ait été incommodé de la pluye,
du vent, de la neige, ou qu’il ait été enrhumé du serein de la nuit,
lorsqu’au clair de la lune il se plaint de ses amoureux tourmens. Mais
cet air a sur-tout une propriété singuliere, c’est de tenir lieu de
nourriture à tous ceux qui le respirent, en sorte qu’on peut dans ce
pays-là entreprendre le plus long voyage à travers les déserts les plus
inhabités, sans se mettre en peine de faire aucune provision pour soi ni
pour ses chevaux mêmes.
Voici encore une chose qui me frappa extrêmement. Nos rochers dans
tous ces pays-ci sont d’une dureté et d’une insensibilité si grande,
qu’on leur diroit pendant une année entiere les choses du monde les
plus touchantes, qu’ils ne les écouteroient seulement pas. Mais ils sont
bien différens dans la romancie. J’en rencontrai dans mon chemin un
amas assez considérable, et comme ma curiosité me portoit à tout
observer, je m’en approchai pour les considérer de plus près. Je voulus
même en tâter quelques-uns de la main; mais quel fut mon étonnement
de les trouver si tendres, qu’ils cédoient à l’effort de ma main comme
du gazon ou de la laine. J’avoue que ce phénomene me parût si étrange,
que j’en jettai un cri d’étonnement, et je ne l’aurois jamais compris si
on ne me l’avoit expliqué depuis. C’est qu’il étoit venu la veille un
amant des plus malheureux et des plus éloquens du pays conter à ces
rochers ses tourmens; et son récit étoit si touchant, ses accens
douloureux si pitoyables, que les rochers n’avoient pû y résister malgré
toute leur dureté naturelle. Les uns s’étoient fendus de haut en bas, les
autres s’étoient laissés fondre comme de la cire, et les plus durs
s’étoient attendris et amollis au point que je viens de dire. Si les rochers
de la romancie sont si sensibles, il est aisé de juger quelle doit être en
ce pays-là la complaisance des echos pour ceux qui ont à leur parler. Il
n’y a rien de si aimable ni de si docile. Ils répetent tout ce que l’ont
veut. Si vous chantez, ils chantent; si vous vous plaignez, ils se
plaignent avec vous. Ils n’attendent pas même pour répondre que vous
ayez achevé de parler, et plûtôt que de laisser un pauvre amoureux
parler seul, ils s’entretiendront avec lui une journée entiere. C’est une
des
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