Voyage du Prince Fan-Federin dans la romancie | Page 9

Guillaume Hyacinthe Bougeant
de tous les animaux, et fort ais��s �� apprivoiser. Quand on en a une fois apprivois�� quelqu��un, on en fait tout ce qu��on veut. Ils sont d��une commodit�� admirable pour atteler aux voitures, et faire beaucoup de chemin en peu de tems. Pour ce qui est des centaures, on voulut autrefois les faire parquer aussi comme les chevaux et les griffons, parce qu��ils tiennent en effet beaucoup du cheval; mais ils n��y voulurent jamais consentir, pr��tendant qu��ils ne tenoient pas moins de l��homme; et comme en effet il est assez difficile de d��cider si ce sont des hommes ou des chevaux, l��affaire est demeur��e ind��cise; et cependant on leur a laiss�� la libert�� de courir la campagne selon leur fantaisie, et de vivre �� leur maniere. Le parc des hircocerfs et des chimeres me parut un des plus curieux �� voir, et m��amusa fort long-tems. Tous ces monstres ��toient resserr��s chacun dans une loge faite en forme de cage, qui laissoit voir toute leur taille et leur figure, ce qui faisoit une esp��ce de m��nagerie fort divertissante d��une part, par l��assortiment bizarre de divers animaux unis ensemble, et terrible de l��autre par la figure monstrueuse et mena?ante de ces b��tes farouches.
Aux deux c?t��s de cette m��nagerie on avoit pratiqu�� deux grands canaux, mais bien diff��rens l��un de l��autre; car l��un ��toit plein d��un feu clair et vif, qu��on avoit soin d��entretenir continuellement, c����toit pour loger et nourrir un troupeau de salamandres. L��autre ��toit rempli d��une belle eau claire et transparente. C����toit la demeure de deux ou trois bandes de sirenes qu��on y avoit log��es comme dans une maison de force, pour les punir des d��bauches effroyables, o�� elles avoient engag�� par les charmes de leur voix enchanteresse, quantit�� de heros vertueux. Outre la retraite �� laquelle elles ��toient condamn��es pour plusieurs ann��es, elles avoient d��fense de chanter, si ce n����toit quelques morceaux de l��op��ra d��H parce qu��on jugeoit qu��il n��y avoit pas de danger d��en ��tre attendri; mais elles en trouvoient le chant si sauvage, qu��elles aimoient mieux se taire, de sorte qu��elles ��toient en effet muettes comme des poissons. Outre ces deux canaux, il y avoit encore un puits fort profond, qui servoit de demeure �� des basilics. Mais je me gardai bien de me pr��senter �� l��ouverture du puits, pour ne pas m��exposer �� ��tre tu�� par le regard meurtrier de ces monstres.
Je passai de l�� �� un quartier o�� j��appercevois des moutons. Je n��ai jamais rien v? de si aimable. Mais j��ai sur tout un plaisir singulier �� me rappeller le charmant tableau qui s��offrit �� mes yeux. On s?ait comment sont faits parmi nous les bergers et les bergeres; rien de plus abject ni de plus d��goutant; et n��en ayant jamais v? d��autres, je m����tois persuad�� que tout ce que je lisois de ceux d��autrefois, sur tout de ceux qui habitoient les bords du Lignon, n����toit que jeu d��esprit et pure fiction. C��est moi qui me faisois illusion �� moi-m��me.
Non, rien n��est si galant ni si aimable que les bergers de la romancie. Leur habillement est to?jours extr��mement propre; simple, mais de bon gout: peu charg�� de parures, mais ��l��gant et bien assorti �� la taille et �� la figure. Toutes leurs houlettes sont orn��es de rubans, dont la couleur n��est jamais choisie au hazard; car elle doit marquer to?jours les sentimens et les dispositions de leur coeur; et je n��en ai v? aucune qui ne f?t en m��me tems charg��e de chiffres ing��nieux et tout-��-fait galants. Si les bergeres ignorent l��usage du rouge, du blanc, des mouches et de tous les attraits emprunt��s, c��est que l����clat et la vivacit�� naturelle de leur teint surpasse tout ce que l��art peut pr��ter d��agr��mens. Toute la parure de leur t��te consiste en quelques fleurs nouvelles, qui m��l��es avec les boucles de leurs cheveux, font un effet plus charmant mille fois que ne feroient les perles et les diamans. Mais ce qui acheve de les rendre les plus aimables personnes du monde, ce sont ces graces touchantes et naturelles dont elles sont toutes pourv?es. Qu��elles soient vives ou d��une humeur plus tranquille, qu��elles chantent, qu��elles dansent, qu��elles sourient, qu��elles soient tristes, qu��elles dorment ou qu��elles veillent, elles font tout cela avec tant de grace et de gentillesse, qu��il n��y a point de coeur si insensible qui n��en soit ��m?. L��aimable candeur et l��innocente simplicit�� sont des vertus qui ne les quittent jamais. Elles ignorent jusqu��au nom de la dissimulation, de la perfidie, de l��infid��lit��, et de ces artifices dangereux, que la jalousie ou la coquetterie mettent en usage. Le berger qui vit parmi elles est le plus heureux des hommes; s��il aime, il est s?r d����tre aim��; sa tendresse est pay��e de tendresse, et sa constance de fid��lit��. Le berger sans amour et qui ch��rit son indiff��rence, n��a point
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