Voyage du Prince Fan-Federin dans la romancie | Page 5

Guillaume Hyacinthe Bougeant
premiere r��flexion qui me vint �� l��esprit, fut de songer qu��il y avoit sous la terre beaucoup de pays que nous ne connoissions pas, ce qui me parut une observation importante pour la g��ographie et la physique; mais il est vrai qu��entra?n�� par la curiosit�� et l��admiration des objets qui s��offroient �� mes yeux, je ne m��arr��tai pas long tems �� ces r��flexions philosophiques.
J��entrai dans la campagne sans trop s?avoir o�� je tournerois mes pas, me sentant ��galement attir�� de tous c?t��s par des beaut��s nouvelles, et pouvant �� peine me donner le loisir d��en consid��rer aucune en particulier. Je me d��terminai enfin �� suivre une charmante riviere qui serpentoit dans la plaine. Cette riviere ��toit bord��e d��un gazon le plus beau, le plus riant, le plus tendre qu��on puisse imaginer, et ce gazon ��toit embelli de mille fleurs de diff��rente espece. Elle arrosoit une prairie d��une beaut�� admirable, dont l��herbe et les fleurs parfumoient l��air d��une odeur exquise, et si en serpentant elle sembloit quelquefois retourner sur ses pas, c��est sans doute parce qu��elle avoit un regret sensible de quitter un si beau lieu. La prairie ��toit orn��e dans toute son ��tendu? de bosquets d��licieux, plac��s dans de justes distances pour plaire aux yeux, et comme si la nature aimoit aussi quelquefois �� imiter l��art, comme l��art se pla?t to?jours �� imiter la nature, j��apper?us dans quelques endroits des especes de desseins r��guliers form��s de gazon, de fleurs et d��arbrisseaux qui faisoient des parterres charmans; mais la riviere elle-m��me sembloit ��puiser toute mon admiration. L��eau en ��toit plus claire et plus transparente que le crystal. Pour peu qu��on voul?t pr��ter l��oreille, on entendoit ses ondes g��mir tendrement, et ses eaux murmurer doucement; et ce doux murmure se joignant au chant m��lodieux des cygnes, qui sont l�� fort communs, faisoit une musique extr��mement touchante. Au lieu de sable on voyoit briller au fond de la riviere des nacres de perle, et mille pierres pr��cieuses; et on distinguoit sans peine dans le sein de l��onde un nombre infini de poissons dor��s, argent��s, azur��s, pourpre, qui pour rendre le spectacle plus aimable, se plaisoient �� faire ensemble mille agr��ables jeux. C��est pourtant dommage, dis-je tout bas, qu��on ne puisse point passer d��un bord �� l��autre pour jo��ir ��galement des deux c?t��s de la riviere. Le croira-t-on? Sans doute; car j��ai bien d��autres merveilles �� raconter. �� peine donc eus-je prononc�� tout bas ces paroles, que j��apper?us �� mes pieds un petit batteau fort propre. Je connoissois trop par mes lectures l��usage de ces batteaux, pour h��siter d��y entrer. J��y descendis en effet, et dans le moment je fus port�� �� l��autre bord de la riviere. Que les incr��dules osent apr��s cela faire valoir de mauvaises subtilit��s contre des faits si av��r��s. Voici dequoi achever de les confondre, c��est que consid��rant un certain endroit de la riviere, et trouvant qu��il e?t ��t�� �� propos d��y faire un pont, je fus tout ��tonn�� d��en voir un tout fait dans le moment m��me; de sorte qu��on n��a jamais rien v? de si commode.
Cependant je continuai ma route, et je puis dire, sans exag��ration, qu���� chaque pas je rencontrai de nouveaux sujets d��admiration. J��apper?us entr��autres un endroit dans la prairie qui me parut un peu plus cultiv��. J��eus la curiosit�� d��en approcher, et je trouvai une fontaine. L��eau m��en par?t si pure et si belle, que ne doutant pas qu��elle ne f?t excellente, j��en voulus go?ter; mais que ne sentis-je pas dans le moment au dedans de moi-m��me! Quelle ardeur, quels transports, quels mouvemens inconnus, quels feux! Ces feux avoient �� la v��rit�� quelque chose de doux, et il me semble que j��y trouvois du plaisir; mais ils ��toient en m��me-tems si vifs et si inquiets, que ne me poss��dant plus moi-m��me, et tombant alternativement de la plus vive agitation dans une profonde r��verie, je marchois au travers de la prairie sans s?avoir pr��cis��ment o�� j��allois. Je rencontrai ainsi une seconde fontaine, et je ne s?ais quel mouvement me porta �� boire aussi de son eau. Mais �� peine en eus-je aval�� quelques gouttes, que je me trouvai tout chang��. Il me sembla que mon coeur ��toit envelopp�� d��une vapeur noire, et que mon esprit se couvroit d��un nuage sombre. Je sentis des transports furieux, et des mouvemens confus de haine et d��aversion pour tous les objets qui se pr��sentoient. Ce changement m��ouvrit les yeux. Je me rappellai ce que j��avois l? des fontaines de l��amour et de la haine, et je ne doutai plus que ce ne fussent celles dont je venois de boire. Alors me souvenant que j��avois aussi l? que le lac d��indiff��rence ne devoit pas ��tre ��loign�� des deux fontaines, je me hatai de le chercher, et l��ayant rencontr�� (car dans ce pays-l�� on rencontre to?jours tout ce qu��on cherche) j��en bus
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