peu peuplée de ce
côté-là.
-- Qui commande ce poste? demanda le cardinal.
-- Villequier, répondit Guitaut.
-- Diable! fit Mazarin, parlez-lui seul, vous savez que nous sommes en
brouille depuis que vous avez eu la charge d’arrêter M. le duc de
Beaufort; il prétendait que c’était à lui, comme capitaine des gardes du
roi, que revenait cet honneur.
-- Je le sais bien, et je lui ai dit cent fois qu’il avait tort, le roi ne
pouvait lui donner cet ordre, puisqu’à cette époque-là le roi avait à
peine quatre ans.
-- Oui, mais je pouvais le lui donner, moi, Guitaut, et j’ai préféré que ce
fût vous.
Guitaut, sans répondre, poussa son cheval en avant, et s’étant fait
reconnaître à la sentinelle, fit appeler M. de Villequier.
Celui-ci sortit.
-- Ah! c’est vous, Guitaut! dit-il de ce ton de mauvaise humeur qui lui
était habituel, que diable venez-vous faire ici?
-- Je viens vous demander s’il y a quelque chose de nouveau de ce côté.
-- Que voulez-vous qu’il y ait? On crie: «Vive le roi!» et «À bas le
Mazarin!» ce n’est pas du nouveau, cela; il y a déjà quelque temps que
nous sommes habitués à ces cris-là.
-- Et vous faites chorus? répondit en riant Guitaut.
-- Ma foi, j’en ai quelquefois grande envie! je trouve qu’ils ont bien
raison, Guitaut; je donnerais volontiers cinq ans de ma paye, qu’on ne
me paye pas, pour que le roi eût cinq ans de plus.
-- Vraiment, et qu’arriverait-il si le roi avait cinq ans de plus?
-- Il arriverait qu’à l’instant où le roi serait majeur, le roi donnerait ses
ordres lui-même, et qu’il y a plus de plaisir à obéir au petit-fils de
Henri IV qu’au fils de Pietro Mazarini. Pour le roi, mort-diable! je me
ferais tuer avec plaisir; mais si j’étais tué pour le Mazarin, comme votre
neveu a manqué de l’être aujourd’hui, il n’y a point de paradis, si bien
placé que j’y fusse, qui m’en consolât jamais.
-- Bien, bien, monsieur de Villequier, dit Mazarin. Soyez tranquille, je
rendrai compte de votre dévouement au roi.
Puis se retournant vers l’escorte:
-- Allons, messieurs, continua-t-il, tout va bien, rentrons.
-- Tiens, dit Villequier, le Mazarin était là! Tant mieux; il y avait
longtemps que j’avais envie de lui dire en face ce que j’en pensais;
vous m’en avez fourni l’occasion, Guitaut; et quoique votre intention
ne soit peut-être pas des meilleures pour moi, je vous remercie.
Et tournant sur ses talons, il rentra au corps de garde en sifflant un air
de Fronde.
Cependant Mazarin revenait tout pensif; ce qu’il avait successivement
entendu de Comminges, de Guitaut et de Villequier le confirmait dans
cette pensée qu’en cas d’événements graves, il n’aurait personne pour
lui que la reine, et encore la reine avait si souvent abandonné ses amis
que son appui paraissait parfois au ministre, malgré les précautions
qu’il avait prises, bien incertain et bien précaire.
Pendant tout le temps que cette course nocturne avait duré, c’est- à-dire
pendant une heure à peu près, le cardinal avait, tout en étudiant tour à
tour Comminges, Guitaut et Villequier, examiné un homme. Cet
homme, qui était resté impassible devant la menace populaire, et dont
la figure n’avait pas plus sourcillé aux plaisanteries qu’avait faites
Mazarin qu’à celles dont il avait été l’objet, cet homme lui semblait un
être à part et trempé pour des événements dans le genre de ceux dans
lesquels on se trouvait, surtout de ceux dans lesquels on allait se
trouver.
D’ailleurs ce nom de d’Artagnan ne lui était pas tout à fait inconnu, et
quoique lui, Mazarin, ne fût venu en France que vers 1634 ou 1635,
c’est-à-dire sept ou huit ans après les événements que nous avons
racontés dans une précédente histoire, il semblait au cardinal qu’il avait
entendu prononcer ce nom comme celui d’un homme qui, dans une
circonstance qui n’était plus présente à son esprit, s’était fait remarquer
comme un modèle de courage, d’adresse et de dévouement.
Cette idée s’était tellement emparée de son esprit, qu’il résolut de
l’éclaircir sans retard; mais ces renseignements qu’il désirait sur
d’Artagnan, ce n’était point à d’Artagnan lui-même qu’il fallait les
demander. Aux quelques mots qu’avait prononcés le lieutenant des
mousquetaires, le cardinal avait reconnu l’origine gasconne; et Italiens
et Gascons se connaissent trop bien et se ressemblent trop pour s’en
rapporter les uns aux autres de ce qu’ils peuvent dire d’eux-mêmes.
Aussi, en arrivant aux murs dont le jardin du Palais-Royal était enclos,
le cardinal frappa-t-il à une petite porte située à peu près où s’élève
aujourd’hui le café de Foy, et, après avoir remercié d’Artagnan et
l’avoir invité à l’attendre dans la cour du Palais-Royal, fit-il signe à
Guitaut de le suivre. Tous deux descendirent de cheval, remirent la
bride de leur monture
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.