danger?
-- Du danger, Monseigneur! demanda d’Artagnan d’un air étonné, et
lequel?
-- On dit le peuple tout à fait mutiné.
-- L’uniforme des mousquetaires du roi est fort respecté, Monseigneur,
et ne le fût-il pas, moi, quatrième je me fais fort de mettre en fuite une
centaine de ces manants.
-- Vous avez vu cependant ce qui est arrivé à Comminges?
-- M. de Comminges est aux gardes et non pas aux mousquetaires,
répondit d’Artagnan.
-- Ce qui veut dire, reprit le cardinal en souriant, que les mousquetaires
sont meilleurs soldats que les gardes?
-- Chacun a l’amour-propre de son uniforme, Monseigneur.
-- Excepté moi, monsieur, reprit Mazarin en souriant, puisque vous
voyez que j’ai quitté le mien pour prendre le vôtre.
-- Peste, Monseigneur! dit d’Artagnan, c’est de la modestie. Quant à
moi, je déclare que, si j’avais celui de Votre Éminence, je m’en
contenterais et m’engagerais au besoin à n’en porter jamais d’autre.
-- Oui, mais pour sortir ce soir, peut-être n’eût-il pas été très sûr.
Bernouin, mon feutre.
Le valet de chambre rentra, rapportant un chapeau d’uniforme à larges
bords. Le cardinal s’en coiffa d’une façon assez cavalière, et se
retourna vers d’Artagnan:
-- Vous avez des chevaux tout sellés dans les écuries, n’est-ce pas?
-- Oui, Monseigneur.
-- Eh bien! partons.
-- Combien Monseigneur veut-il d’hommes?
-- Vous avez dit qu’avec quatre hommes, vous vous chargeriez de
mettre en fuite cent manants; comme nous pourrions en rencontrer deux
cents, prenez-en huit.
-- Quand Monseigneur voudra.
-- Je vous suis; ou plutôt, reprit le cardinal, non, par ici. Éclairez-nous,
Bernouin.
Le valet prit une bougie, le cardinal prit une petite clef dorée sur son
bureau, et ayant ouvert la porte d’un escalier secret, il se trouva au bout
d’un instant dans la cour du Palais-Royal.
II. Une ronde de nuit
Dix minutes après, la petite troupe sortait par la rue des Bons- Enfants,
derrière la salle de spectacle qu’avait bâtie le cardinal de Richelieu pour
y faire jouer Mirame, et dans laquelle le cardinal Mazarin, plus amateur
de musique que de littérature, venait de faire jouer les premiers opéras
qui aient été représentés en France.
L’aspect de la ville présentait tous les caractères d’une grande agitation;
des groupes nombreux parcouraient les rues, et, quoi qu’en ait dit
d’Artagnan, s’arrêtaient pour voir passer les militaires avec un air de
raillerie menaçante qui indiquait que les bourgeois avaient
momentanément déposé leur mansuétude ordinaire pour des intentions
plus belliqueuses. De temps en temps des rumeurs venaient du quartier
des Halles. Des coups de fusil pétillaient du côté de la rue Saint-Denis,
et parfois tout à coup, sans que l’on sût pourquoi, quelque cloche se
mettait à sonner, ébranlée par le caprice populaire.
D’Artagnan suivait son chemin avec l’insouciance d’un homme sur
lequel de pareilles niaiseries n’ont aucune influence. Quand un groupe
tenait le milieu de la rue, il poussait son cheval sans lui dire gare, et
comme si, rebelles ou non, ceux qui le composaient avaient su à quel
homme ils avaient affaire, ils s’ouvraient et laissaient passer la
patrouille. Le cardinal enviait ce calme, qu’il attribuait à l’habitude du
danger; mais il n’en prenait pas moins pour l’officier, sous les ordres
duquel il s’était momentanément placé, cette sorte de considération que
la prudence elle-même accorde à l’insoucieux courage.
En approchant du poste de la barrière des Sergents, la sentinelle cria:
«Qui vive?» D’Artagnan répondit, et, ayant demandé les mots de passe
au cardinal, s’avança à l’ordre; les mots de passe étaient Louis et
Rocroy.
Ces signes de reconnaissance échangés, d’Artagnan demanda si ce
n’était pas M. de Comminges qui commandait le poste.
La sentinelle lui montra alors un officier qui causait, à pied, la main
appuyée sur le cou du cheval de son interlocuteur. C’était celui que
demandait d’Artagnan.
-- Voici M. de Comminges, dit d’Artagnan revenant au cardinal.
Le cardinal poussa son cheval vers eux, tandis que d’Artagnan se
reculait par discrétion; cependant, à la manière dont l’officier à pied et
l’officier à cheval ôtèrent leurs chapeaux, il vit qu’ils avaient reconnu
son Éminence.
-- Bravo, Guitaut, dit le cardinal au cavalier, je vois que malgré vos
soixante-quatre ans vous êtes toujours le même, alerte et dévoué. Que
dites-vous à ce jeune homme?
-- Monseigneur, répondit Guitaut, je lui disais que nous vivions à une
singulière époque, et que la journée d’aujourd’hui ressemblait fort à
l’une de ces journées de la Ligue dont j’ai tant entendu parler dans mon
jeune temps. Savez-vous qu’il n’était question de rien moins, dans les
rues Saint-Denis et Saint-Martin, que de faire des barricades.
-- Et que vous répondait Comminges, mon cher Guitaut?
-- Monseigneur, dit Comminges, je répondais que, pour faire une Ligue,
il ne leur manquait qu’une chose qui me paraissait assez essentielle,
c’était un duc de Guise; d’ailleurs, on ne fait
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.