Vie de Moliere | Page 4

Voltaire
Cie, Imprimeurs de l'Institut, rue
Jacob, 56, 1890.
[Spelling of the 1890 edition. Footnotes have been retained because
they provide the meanings of old French words or expressions.
Footnote are indicated by numbers in brackets, and are grouped at the
end of the Etext. Downcase accents have been kept, but not upcase
accents (not well supported by all software). Text encoding is
iso-8859-1.]

VIE DE MOLIERE
PAR VOLTAIRE
Le goût de bien des lecteurs pour les choses frivoles, et l'envie de faire
un volume de ce qui ne devrait remplir que peu de pages, sont cause
que l'histoire des hommes célèbres est presque toujours gâtée par des
détails inutiles et des contes populaires aussi faux qu'insipides. On y
ajoute souvent des critiques injustes de leurs ouvrages. C'est ce qui est
arrivé dans l'édition de Racine faite à Paris en 1728. On tâchera d'éviter
cet écueil dans cette courte histoire de la vie de Molière ; on ne dira de
sa propre personne que ce qu'on a cru vrai et digne d'être rapporté, et on
ne hasardera sur ses ouvrages rien qui soit contraire aux sentiments du
public éclairé.
Jean-Baptiste Poquelin naquit à Paris en 1620, dans une maison qui
subsiste encore sous les piliers des halles. Son père, Jean-Baptiste
Poquelin, valet de chambre tapissier chez le roi, marchand fripier, et
Anne Boutet, sa mère, lui donnèrent une éducation trop conforme à leur
état, auquel ils le destinaient : il resta jusqu'à quatorze ans dans leur
boutique, n'ayant rien appris, outre son métier, qu'un peu à lire et à
écrire. Ses parents obtinrent pour lui la survivance de leur charge chez
le roi ; mais son génie l'appelait ailleurs. On a remarqué que presque
tous ceux qui se sont fait un nom dans les beaux-arts les ont cultivés
malgré leurs parents, et que la nature a toujours été en eux plus forte
que l'éducation.
Poquelin avait un grand-père qui aimait la comédie, et qui le menait

quelquefois à l'hôtel de Bourgogne. Le jeune homme sentit bientôt une
aversion invincible pour sa profession. Son goût pour l'étude se
développa ; il pressa son grand-père d'obtenir qu'on le mît au collège, et
il arracha enfin le consentement de son père, qui le mit dans une
pension, et l'envoya externe aux jésuites, avec la répugnance d'un
bourgeois qui croyait la fortune de son fils perdue s'il étudiait.
Le jeune Poquelin fit au collège les progrès qu'on devait attendre de son
empressement à y entrer. Il y étudia cinq années ; il y suivit le cours des
classes d'Armand de Bourbon, premier prince de Conti, qui depuis fut
le protecteur des lettres et de Molière.
Il y avait alors dans ce collège deux enfants qui eurent depuis beaucoup
de réputation dans le monde. C'étaient Chapelle et Bernier ; celui-ci
connu par ses voyages aux Indes, et l'autre célèbre par quelques vers
naturels et aisés, qui lui ont fait d'autant plus de réputation qu'il ne
rechercha pas celle d'auteur.
L'Huillier, homme de fortune, prenait un soin singulier de l'éducation
du jeune Chapelle, son fils naturel ; et, pour lui donner de l'émulation, il
faisait étudier avec lui le jeune Bernier, dont les parents étaient mal à
leur aise. Au lieu même de donner à son fils naturel un précepteur
ordinaire et pris au hasard, comme tant de pères en usent avec un fils
légitime qui doit porter leur nom, il engagea le célèbre Gassendi à se
charger de l'instruire.
Gassendi ayant démêlé de bonne heure le génie de Poquelin, l'associa
aux études de Chapelle et de Bernier. Jamais plus illustre maître n'eut
de plus dignes disciples. Il leur enseigna sa philosophie d'Epicure, qui,
quoique aussi fausse que les autres, avait au moins plus de méthode et
plus de vraisemblance que celle de l'école, et n'en avait pas la barbarie.
Poquelin continua de s'instruire sous Gassendi. Au sortir du collège, il
reçut de ce philosophe les principes d'une morale plus utile que sa
physique, et il s'écarta rarement de ces principes dans le cours de sa vie.
Son père étant devenu infirme et incapable de servir, il fut obligé
d'exercer les fonctions de son emploi auprès du roi. Il suivit Louis XIII
dans le voyage que ce monarque fit en Languedoc en 1641 ; et, de
retour à Paris, sa passion pour la comédie, qui l'avait déterminé à faire
ses études, se réveilla avec force.
Le théâtre commençait à fleurir alors : cette partie des belles-lettres, si
méprisée quand elle est médiocre, contribue à la gloire d'un Etat quand

elle est perfectionnée.
Avant l'année 1625, il n'y avait point de comédiens fixes à Paris.
Quelques farceurs allaient, comme en Italie, de ville en ville : ils
jouaient des pièces de Hardy, de Monchrétien, ou de Balthazar Baro.
Ces auteurs leur vendaient leurs ouvrages dix écus pièce.
Pierre Corneille
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 8
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.