la
ferme.
II.
C'était une femme petite et mince qui, au premier abord, semblait âgée
de vingt-cinq ans; mais, en la voyant de près, on pouvait lui en accorder
trente sans craindre d'être trop libéral envers elle. Sa taille fluette et
bien prise avait encore la grâce de la jeunesse; mais son visage, à la fois
noble et joli, portait les traces du chagrin, qui flétrit encore plus que les
années. Sa mise négligée, ses cheveux plats, son air calme,
témoignaient assez l'intention de ne point aller à la fête. Mais dans la
petitesse de sa pantoufle, dans l'arrangement décent et gracieux de sa
robe grise, dans la blancheur de son cou, dans sa démarche souple et
mesurée, il y avait plus d'aristocratie véritable que dans tous les joyaux
d'Athénaïs. Pourtant cette personne si imposante, devant laquelle toutes
les autres se levèrent avec respect, ne portait pas d'autre nom, chez ses
hôtes de la ferme, que celui de mademoiselle Louise.
Elle tendit une main affectueuse à madame Lhéry, baisa sa fille au front,
et adressa un sourire d'amitié au jeune homme.
--Eh bien! lui dit le père Lhéry, avez-vous été vous promener bien loin
ce matin, ma chère demoiselle?
--En vérité, devinez jusqu'où j'ai osé aller! répondit mademoiselle
Louise en s'asseyant près de lui familièrement.
--Pas jusqu'au château, je pense? dit vivement le neveu.
--Précisément jusqu'au château, Bénédict, répondit-elle.
--Quelle imprudence! s'écria Athénaïs, qui oublia un instant de crêper
les boucles de ses cheveux pour s'approcher avec curiosité.
--Pourquoi? répliqua Louise; ne m'avez-vous pas dit que tous les
domestiques étaient renouvelés sauf la pauvre nourrice? Et bien
certainement, si j'eusse rencontré celle-là, elle ne m'eût pas trahie.
--Mais enfin vous pouviez rencontrer madame...
--À six heures du matin? madame est dans son lit jusqu'à midi.
--Vous vous êtes donc levée avant le jour? dit Bénédict. Il m'a semblé
en effet vous entendre ouvrir la porte du jardin.
--Mais _mademoiselle!_ dit madame Lhéry, on la dit fort matinale, fort
active. Si vous l'eussiez rencontrée, celle-là?
--Ah! que je l'aurais voulu! dit Louise avec chaleur; je n'aurai pas de
repos que je n'aie vu ses traits, entendu le son de sa voix... Vous la
connaissez; vous, Athénaïs; dites-moi donc encore qu'elle est jolie,
qu'elle est bonne, qu'elle ressemble à son père...
--Il y a quelqu'un ici à qui elle ressemble bien davantage, dit Athénaïs
en regardant Louise; c'est dire qu'elle est bonne et jolie!
La figure de Bénédict s'éclaircit, et ses regards se portèrent avec
bienveillance sur sa fiancée.
--Mais écoutez, dit Athénaïs à Louise, si vous voulez tant voir
mademoiselle Valentine, il faut venir à la fête avec nous; vous vous
tiendrez cachée dans la maison de notre cousine Simone, sur la place, et
de là vous verrez certainement ces dames; car mademoiselle Valentine
m'a assuré qu'elles y viendraient.
--Ma chère belle, cela est impossible, répondit Louise; je ne
descendrais pas de la carriole sans être reconnue ou devinée. D'ailleurs,
il n'y a qu'une personne de cette famille que je désire voir; la présence
des autres gâterait le plaisir que je m'en promets. Mais c'est assez parler
de mes projets, parlons des vôtres, Athénaïs. Il me semble que vous
voulez écraser tout le pays par un tel luxe de fraîcheur et de beauté!
La jeune fermière rougit de plaisir, et embrassa Louise avec une
vivacité qui prouvait assez la satisfaction naïve qu'elle éprouvait d'être
admirée.
--Je vais chercher mon chapeau, dit-elle; vous m'aiderez à le poser,
n'est-ce pas?
Et elle monta vivement un escalier de bois qui conduisait à sa chambre.
Pendant ce temps, la mère Lhéry sortit par une autre porte pour aller
changer de costume; son mari prit une fourche et alla donner ses
instructions au bouvier pour le régime de la journée.
Alors, Bénédict, resté seul avec Louise, se rapprocha d'elle, et parlant à
demi-voix:
--Vous gâtez Athénaïs comme les autres! lui dit-il. Vous êtes la seule
ici qui auriez le droit de lui adresser quelques observations, et vous ne
daignez pas le faire...
--Qu'avez-vous donc encore à reprocher à cette pauvre enfant? répondit
Louise étonnée. Ô Bénédict! vous êtes bien difficile!
--Voilà ce qu'ils me disent tous, et vous aussi, Madame, vous qui
pourriez si bien comprendre ce que je souffre du caractère et des
ridicules de cette jeune personne!
--Des ridicules? répéta Louise. Est-ce que vous ne seriez pas amoureux
d'elle?
Bénédict ne répondit rien, et après un instant de trouble et de silence:
--Convenez, lui dit-il, que sa toilette est extravagante aujourd'hui. Aller
danser au soleil et à la poussière avec une robe de bal, des souliers de
satin, un cachemire et des plumes! Outre que cette parure est hors de
place, je la trouve du plus mauvais goût. À son âge, une jeune personne
devrait chérir la simplicité et savoir s'embellir à peu de frais.
--Est-ce
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.