Une femme dargent | Page 7

Hector Malot
Si j'avais pu surveiller sa jeunesse! En tous cas, il faut, pour le moment, que nous cherchions quelle est cette femme, sa ma?tresse, et que nous ne le laissions pas aller plus loin dans la voie où elle l'a amené et où elle le pousse. Tu m'aideras.
Ce n'était point l'habitude de M. Charlemont de parler si longuement et sur ce ton; il fallait vraiment que ce que Fourcy lui avait dit et le compte qu'il lui avait montré l'e?t ému plus profondément qu'il ne se laissait ordinairement toucher.
Mais il ne resta pas sous cette impression, car il avait horreur de ce qui le troublait ou l'affectait péniblement, et il cherchait toujours à s'en débarrasser aussi vite que possible.
--Et chez toi comment vont les choses? dit-il en homme qui veut changer le sujet de l'entretien; tu es toujours content de Lucien et de Marcelle?
--Aussi content que peut l'être le père le plus exigeant. Pour le travail et pour tout, Lucien m'a satisfait pleinement; depuis un an bient?t qu'il est dans cette maison, on n'a pas eu un reproche à lui adresser; et je ne l'ai pas traité avec l'indulgence d'un père faible, croyez-le-bien.
--Tu vois donc que j'ai eu bien raison de combattre ton idée d'école polytechnique.
--Ce n'était pas mon idée, c'était celle de Lucien, et c'était parce que je voyais en lui une sorte de vocation pour la science que j'avais scrupule de la contrarier.
--La vocation de ne rien faire, je comprends cela, mais la vocation du travail, du travail ingrat, du travail pour le travail lui-même, c'est trop na?f; où l'Ecole polytechnique aurait-elle conduit Lucien? à mourir de faim dans quelque fonction honorable. Je le veux bien, mais misérable; heureusement que madame Fourcy, qui est un esprit pratique, a compris cela et tandis que je te faisais de l'opposition de mon c?té, elle t'en faisait du sien, de sorte que nous l'avons emporté; voilà Lucien dans la maison: il y fera son chemin comme tu y as fait le tien, et il sera pour Robert ce que tu as été pour moi: nous y trouverons tous notre compte. Lucien ne se plaint pas?
--Certes non.
--Voilà ce que c'est que la vocation; à douze ans, on a la vocation de la marine pour Robinson; à quinze ans on a celle de l'école polytechnique pour le manteau et l'épée; mais à vingt, un peu plus t?t, un peu plus tard, on commence à comprendre qu'il n'y a qu'une chose dans la vie: gagner de l'argent, et que la plus belle profession est celle qui nous en fait gagner davantage et le plus vite possible.
--Ce n'est pas à ce point de vue que Lucien se place.
--Je pense bien, mais il est en bon chemin, il y arrivera; je suis tranquille pour lui; et Marcelle? son mariage?
--Les choses en sont toujours au même point.
--C'est étrange; comment votre marquis italien ne met-il pas plus d'empressement à épouser une belle fille telle que la tienne?
--Rien ne presse, Marcelle n'a que dix-huit ans, et sa mère aussi bien que moi nous désirons ne pas la marier trop jeune; pour mon compte, j'aurais voulu ne pas la marier avant qu'elle e?t atteint la vingtième année; c'était une date que je m'étais fixée, non par égo?sme paternel, non pour l'avoir plus longtemps à moi, bien que je l'aime tendrement, vous le savez, et que la pensée d'une séparation me soit cruelle, mais pour elle, dans son intérêt; aussi ai-je vu avec chagrin le marquis Collio la rechercher, en même temps que j'ai vu avec regret Marcelle se montrer sensible aux attentions du marquis. Maintenant le marquis ne parle pas de mariage et ne m'adresse point une demande formelle, c'est tant mieux; ma femme et moi nous sommes heureux de gagner du temps; nous ne voyons aucun inconvénient à ce que le marquis fasse longuement sa cour; nous apprenons ainsi à le mieux conna?tre; c'est un charmant gar?on; chevaleresque, plein de délicatesse, aussi noble par les sentiments et le caractère que par la naissance.
--Riche?
--En biens fonds, oui, je le crois, mais ses biens sont grevés de dettes, c'est cette situation embarrassée qui lui a été léguée par sa famille, mais qu'il n'a pas faite, qui l'a décidé à embrasser la carrière militaire.
--Capitaine et attaché militaire à l'ambassade d'Italie, ce n'est peut-être pas un moyen pratique de payer ces dettes.
--En ce moment non, mais plus tard; et puis en tous cas cela vaut mieux que de tra?ner une vie inoccupée dans un chateau du Milanais; on lui reconna?t un bel avenir.
--Enfin il vous pla?t.
--Il pla?t beaucoup à ma femme, et il ne dépla?t point à Marcelle; pour moi, j'avoue que j'aimerais mieux pour gendre un Fran?ais qui ne serait pas soldat, mais je ne contrarierai pas le go?t de ma fille, si je vois qu'elle doit être malheureuse en ne devenant pas
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