à son apogée, les choses avaient rapidement changé et la prospérité de la maison qui, sous le père, avait été toujours en grandissant, sous le fils avait toujours marché en diminuant.
Le vieux Charlemont avait été un homme de travail, le jeune était un homme de plaisir. Tout enfant, Amédée Charlemont avait eu horreur de tout ce qui pouvait lui donner de la peine, et cette répulsion naturelle n'avait fait que se développer avec les années. Ce n'était point défaut d'intelligence, loin de là, car son esprit était vif et délié, apte à tout comprendre; mais tout effort l'ennuyait, surtout toute application, et laissé ma?tre de soi par un père qui avait autre chose en tête que de le surveiller, il avait pris l'habitude de ne faire que ce qui lui plaisait. Et ce qui lui plaisait, c'était la vie facile, brillante et bruyante. Pourquoi se f?t-il donné de la peine ou de l'ennui? Puisque son père avait assez travaillé pour plusieurs générations, lui, son fils, n'avait qu'à marcher gaiement dans les chemins bordés de fleurs qu'il lui avait ouverts et à cueillir, quand l'envie lui en prendrait, les fruits m?rs qui s'offraient à sa main. Sa soeur était duchesse... de l'Empire, il est vrai, lui serait roi du monde où l'on s'amuse; n'était-il pas beau gar?on, grand, bien fait, d'allure et de manières distinguées, habile à tous les exercices du corps, assez riche pour ne reculer devant aucune fantaisie, aucune folie? S'il n'avait point conquis cette royauté visée par son ambition de vingt ans, il avait au moins pris place parmi les quelques jeunes hommes qui menaient alors le monde parisien et qui s'effor?aient d'échapper, n'importe comment, à la vie calme et monotone de cette époque bourgeoise.
Avec eux il avait été un des fondateurs du sport, en France, et ses couleurs avaient brillé sur les hippodromes de Chantilly et du Champ-de-Mars, aussi bien que dans les terres labourées de la Croix-de-Berny. Mais les succès du turf ne lui avaient pas suffi, et il en avait obtenu d'autres dans le monde de la galanterie où ses aventures avaient bien des fois soulevé de retentissants tapages.
Cette existence longtemps continuée était une assez mauvaise préparation à la direction d'une maison de l'importance de celle que Hyacinthe Charlemont laissait en mourant à son fils; aussi l'administration de celui-ci avait-elle été déplorable.
Libre de faire ce qu'il voulait, il n'aurait pas hésité à procéder immédiatement à la liquidation de la maison paternelle, mais cette liquidation e?t été un désastre dans lequel e?t sombré la meilleure part de sa fortune et, bon gré, mal gré, avec un profond dégo?t qu'il ne prenait pas la peine de cacher, il avait d? continuer les affaires commencées par son père ou plus justement les laisser aller toutes seules.
Elles allèrent tout d'abord à peu près comme si le chef de la maison avait été encore de ce monde, en état de les diriger de sa main s?re; puis, au bout d'un certain temps, elles s'étaient dévoyées ou ralenties et, malgré la force d'impulsion qui leur avait été imprimée, elles auraient fini par s'arrêter entièrement, si un employé, un simple commis, nommé Fourcy, ne s'était trouvé là à point pour les remettre en chemin et suppléer, par son zèle, son activité, son intelligence, son dévouement, à l'incurie et à l'impuissance du chef de sa maison.
Ce Fourcy, qu'on avait longtemps appelé le petit Jacques parce qu'il était né dans la maison Charlemont et qu'il y avait grandi, était le fils d'un gar?on de recettes qui n'avait eu d'autres visées pour son fils que de le voir hériter un jour de sa sacoche et de son portefeuille à cha?nette de cuivre. Mais le fils avait eu plus d'ambition que le père. Au lieu de se contenter de l'instruction de l'école primaire que ses parents trouvaient plus que suffisante pour lui, il avait voulu davantage, et prenant sur ses heures de sommeil pour travailler, économisant les sous de son déjeuner pour acheter des livres, partout où il y avait des cours gratuits il les avait suivis: mathématiques, comptabilité, histoire, langues fran?aise, anglaise, allemande, tout avait été bon pour sa soif d'apprendre; c'étaient des provisions qu'il emmagasinait dans sa tête sans s'inquiéter de savoir à quoi il les emploierait plus tard, convaincu seulement qu'à un moment donné elles lui serviraient.
Et de fait elles lui avaient si bien servi que celui qui ne devait être que gar?on de recettes était devenu le chef de la maison Charlemont, le continuateur du grand Charlemont, le petit Jacques, M. Fourcy;--et M. Fourcy, pour tout le monde, aussi bien pour ses anciens camarades ou ses anciens chefs forcés de subir sa supériorité que pour les personnages les plus importants de la finance et du commerce qui le traitaient en égal.
II
Débarrassé de tout souci d'affaires et ayant pleine confiance dans son fidèle
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.