Une fête de Noël sous Jacques Cartier | Page 6

Ernest Myrand
établis entre les hommes et leur vocation, et vous
aurez autant d'à-propos, autant d'excuses, pour ce coryphée historique
de reprendre la parole, de la garder plus longtemps même que les
personnages en scène, sa qualité de cicerone officiel lui permettant
d'être prolixe, voire même bavard sas trop d'inconvénient pour l'auteur
du livre, qui cause à sa place.
Et de même que, dans les choeurs de la tragédie antique, le coryphée
parlait quelquefois au nom de la foule, de même Laverdière parlera, de
sa voix claire et forte, au nom de l'histoire du Canada. Cet homme
autorisé en sera l'interprète accompli, et sa parole sera si vraie, si juste,
que chacun, en l'écoutant, croira entendre un écho de ses propres
pensées.
Et si le lecteur constate une divergence, ou plus, une contradiction entre
Laverdière, prononçant le jugement de la postérité, l'opinion publique
actuellement reçue, quelques heures de sage réflexions ne tarderont pas
à lui faire reconnaître et accepter la sentence du prêtre historien. Car
Laverdière ne tergiverse jamais et jamais n'hésite entre l'opinion que
l'on a et l'opinion que l'on devrait avoir sur tel homme, telle époque ou
tel événement historique.
* * *

C'est donc au milieu d'un groupe de matelots que Laverdière se
présente. Les hardis malouins, les audacieux Bretons, compagnons de
la fortune et de la gloire de Jacques Cartier apparaissent; au lieu d'une
troupe de comédiens, c'est l'équipage d'une marine française qui donne
à bord de trois vaisseaux, je ne dirai pas le premier acte, mais la
première scène de cet immortel drame historique joué au Canada par la
France Catholique royale, pendant trois siècles consécutifs, et sans
chute de rideau. Laverdière n'est que le coryphée du spectacle;
conséquemment il lui appartient, et, comme toutes les opinions que je
lui prête, la critique qu'il en peut faire est réversible, et les lecteurs de
ce livre ont le droit de l'applaudir ou de le siffler.
Un rôle d'équipage pour canevas! J'avoue la désespérante aridité de
mon sujet; mais la logique de mon raisonnement autant que le but de
mon travail n'empêchent de choisir. D'autre part, le mot Noël, pour qui
le médite profondément, nous ouvre tout un horizon de l'histoire
canadienne-française. Ce vieux cri de joie gauloise portera-t-il bonheur
à cet essai littéraire? Mes espérances veulent répondre oui; mais je me
souviens à temps que l'Avenir seul a la parole. D'ailleurs, étant donné
l'ingratitude et le fardeau d'une pareille étude, je n'en estimerai mon
succès que meilleur, si toutefois le succès... arrive.
S'il arrive! Eh! viendra-t-il jamais? Franchement j'aimerais mieux
attendre la Justice. Cette redoutable Boiteuse tarde souvent jusqu'au
soir de la vie; elle est lente, si lente quelquefois que les méchants, que
les coupables, les impunis de tous les forfaits comme les heureux de
tous les crimes, finissent par croire qu'il existe pour elle une vieillesse
et qu'elle pourrait bien mourir avant eux. Mais Elle vient à son heure,
toujours avant la fin, jamais trop tard. Le Succès, lui, n'est pas tenu
d'arriver. Voilà ce qui inquiète. A tout événement, l'on me tiendra
peut-être compte de n'avoir pas apporté à l'appui de ma thèse un
exemple facile ou de labeur ou d'imagination.
ERNEST MYRAND
Québec, 25 décembre 1887.

ÉCOLE NORMALE-LAVAL Québec, 4 avril 1887.
L'honorable G. OUIMET. Surintendant de l'Instruction Publique.
MONSIEUR LE SURINTENDANT.
J'ai entendu lire l'ouvrage de Monsieur Ernest Myrand, Une fête de
Noël sous Jacques Cartier. L'impression qui m'est restée de cette
lecture est des plus favorables.
Au point de vue religieux, il ne m'a paru y avoir absolument rien à
reprendre; au contraire, tout y est édifiant, moral, rempli de cette foi
naïve et ardente qui animait nos pieux ancêtres Bretons et Normands.
Au point de vue historique ce travail ne mérite que des éloges. L'auteur,
pénétré de respect et d'affection pour les vénérables monuments de
notre histoire a pris pour base de son récit nos plus anciennes annales,
et a voulu rassurer et satisfaire les lecteurs sceptiques ou incrédules en
mettant toujours en note le texte primitif des documents sur lesquels il
s'appuie.
Cet ouvrage, qui a dû coûter à son auteur beaucoup de recherches, me
paraît propre à faire aimer notre histoire et à faire étudier nos vieilles
archives, mine précieuse qui gît depuis si longtemps dans la poussière
de l'oubli et qui renferme encore tant de richesses inexplorées. Chaque
fois que l'occasion s'en est présentée, le brillant écrivain à travaillé à
grouper habilement une foule de faits historiques, à les lier en faisceaux
et à en former comme une gerbe de lumière propre à éclairer la marche
et à soulager la mémoire de l'étudiant; la vérité est partout respectée et
l'on s'instruit en s'amusant à une saine lecture.
C'est un bon moyen, je crois, de vulgariser l'histoire consignée dans nos
archives canadiennes comme Jules Verne a vulgarisé la science, en la
présentant
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