Une fête de Noël sous Jacques Cartier | Page 5

Ernest Myrand
un fran?ais vieux, ou plut?t jeune comme l'age de Rabelais et de Montaigne, exhalant en parfum la fra?cheur éternelle de l'esprit.
Forcément, l'attention des plus légers liseurs s'arrêtera sur ces passages empruntés à l'original unique--imprimés à dessein avec d'anciens caractères typographiques--- extraits bizarres, étranges comme un grimoire, où l'orthographe primitive des mots, le suranné des expressions, la latinisme des tournures de phraser, donnent un cachet de haute valeur archéologique.
[Note 2: Je me suis servi pour mon travail de la "Réimpression figurée de l'édition originale rarissime de 1545 avec les variantes des manuscrits de la bibliothèque impériale."--Paris--Librairie Tross--1863--J'ai aussi consulté l'édition canadienne des Voyages de Jacques Cartier publiée en 1843 sous les auspices de la Société Littéraire et Historique de Québec.]
[Note 3: D'Avezac. Introduction historique à la Relation du Second Voyage de Jacques Cartier, page xvj.]
Et de même que la lecture des romans de Jules Verne a développé le go?t des études scientifiques, de même la paraphrase littéraire d'un document archéologique éveillera-t-elle peut-être, chez plusieurs jeunes gens instruits, l'idée de consulter nos archives, de les lire, et de se prendre, eux aussi, à leur savante et fascinante étude. Ce sera du même coup développer chez les lettrés le go?t de l'histoire par excellence, celle de notre pays.
Tout le travail archéologique proprement dit est terminé maintenant, les manuscrits déchiffrés, copiés, collationnés, imprimés, se rangent aujourd'hui en beaux volumes sur les rayons de toutes nos bibliothèques. Il n'y a plus qu'à ouvrir le livre... et à le lire! Et on ne lirait pas? Je ne puis croire à cet excès d'indifférence ou de paresse!
* * *
"PRENDRE PAR L'IMAGINATION CEUX-LA QUI NE VEULENT PAS DE BON GRé SE LIVRER A L'éTUDE," tel est l'objet entier de ce livre.
Encore l'imagination de celui qui invente à conditions pareilles aux miennes se trouve-t-elle, avec un semblable canevas, terriblement réduite, affreusement bridée, dans le champ même de ses évolutions, le terrain par excellence de ses manoeuvres, la description. Son action restreinte demeure étroitement liée aux causeries d'équipages que défraient un petit nombre de circonstances inconnues, mais vraisemblables, aussi rares et aussi vulgaires cependant que les événements quotidiens, traversant la monotonie d'un long et triste hivernage. Qui plus est, ces causeries de matelot se rattachent à très peu de sujets; sujets difficiles que l'imagination ne trouve qu'en évoquant la vérité des sentiments intenses, vivaces, je le veux bien admettre, mais aussi, communs à tous les hommes: sentiments de regrets amers, angoisses lancinantes, d'illusions éblouies, croisées presqu'aussit?t de désespoirs extrêmes, tous sentiments personnels à ces Fran?ais, acteurs d'une héro?que aventure, encore plus rongés de nostalgie que de scorbut.
Aussi, ai-je cru devoir introduire dès le départ de l'action, un interprète qui l'accompagne à travers l'intrigue, jusqu'à la fin du récit. Cet interprète n'est pas mis là uniquement pour traduire les pensées ou les sentiments des principaux r?les, la seule clarté du langage devant suffire à cela, mais pour compléter chez le lecteur la connaissance historique de ces mêmes personnages, de l'époque et du pays où ils ont vécu, de leurs travaux, de leurs oeuvres.
Pour créer le type de ce personnage je n'ai eu qu'à me souvenir. Car j'ai connu, intimement connu, dans ma vie d'écolier, au Séminaire de Québec, Monsieur l'abbé Charles Honoré Laverdière, l'érudit archéologue, l'éminent prêtre historien; et nul autre que lui ne m'a semblé plus apte à remplir vaillamment ce premier r?le.
J'ai dit interprète, j'aurais mieux fait d'écrire coryphée; car mon cicerone fantaisiste lui correspond et lui ressemble étonnamment. Avec cette différent toutefois que le coryphée des tragédies grecques donne la réplique aux acteurs en scène, cause, discute approuve, censure, pleure, se lamente s'inquiète, se réjouit, se glorifie, s'exalte avec eux; tandis que, dans le cas actuel, notre Mentor donne la réplique à l'auditoire, c'est-à-dire aux lecteurs du livre. Il cause avec eux, discute, approuve, condamne les idées, les sentiments, les espérances, les désespoirs, les ambitions, les étonnements, les rêves des compagnons de Jacques Cartier. Il profite conséquemment de l'occasion continuellement présente de donner à ses auditeurs un Cours quasi complet d'Histoire du Canada. Un nom d'homme ou de ville, une parole, une action, une place, un monument, cités aux dialogues, ou mentionnés dans la partie descriptive de l'ouvrage, sont pour lui autant de raison de prendre la parole.
Ajoutez encore, comme prétextes de causerie, les analogies d'événements ou de circonstances, les co?ncidences heureuses ou bizarres, les antithèses surprenantes d'une vie toute semée d'aventures singulières, les parallèles glorieux, ou les facheux contrastes providentiellement établis entre les hommes et leur vocation, et vous aurez autant d'à-propos, autant d'excuses, pour ce coryphée historique de reprendre la parole, de la garder plus longtemps même que les personnages en scène, sa qualité de cicerone officiel lui permettant d'être prolixe, voire même bavard sas trop d'inconvénient pour l'auteur du livre, qui cause à sa place.
Et de même que, dans les choeurs de la tragédie antique,
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