Une Page dAmour | Page 2

Emile Zola
de velours, azurait la glace de l'armoire de palissandre, plac��e entre les deux fen��tres. L'harmonie bourgeoise de la pi��ce, ce bleu des tentures, des meubles et du tapis, prenait �� cette heure nocturne une douceur vague de nu��e. Et, en face des fen��tres, du c?t�� de l'ombre, le lit, ��galement tendu de velours, faisait une masse noire, ��clair��e seulement de la paleur des draps. H��l��ne, les mains crois��es, dans sa tranquille attitude de m��re et de veuve, avait un l��ger souffle.
Au milieu du silence, la pendule sonna une heure. Les bruits du quartier ��taient morts. Sur ces hauteurs du Trocad��ro, Paris envoyait seul son lointain ronflement. Le petit souffle d'H��l��ne ��tait si doux, qu'il ne soulevait pas la ligne chaste de sa gorge. Elle sommeillait d'un beau sommeil, paisible et fort, avec son profil correct et ses cheveux chatains puissamment nou��s, la t��te pench��e, comme si elle se f?t assoupie en ��coutant. Au fond de la pi��ce, la porte d'un cabinet grande ouverte trouait le mur d'un carr�� de t��n��bres.
Mais pas un bruit ne montait. La demie sonna. Le balancier avait un battement affaibli, dans cette force du sommeil qui an��antissait la chambre enti��re. La veilleuse dormait, les meubles dormaient; sur le gu��ridon, pr��s d'une lampe ��teinte, un ouvrage de femme dormait. H��l��ne, endormie, gardait son air grave et bon.
Quand deux heures sonn��rent, cette paix fut troubl��e, un soupir sortit des t��n��bres du cabinet. Puis, il y eut un froissement de linge, et le silence recommen?a. Maintenant, une haleine oppress��e s'entendait. H��l��ne n'avait pas boug��. Mais, brusquement, elle se souleva. Un balbutiement confus d'enfant qui souffre venait de la r��veiller. Elle portait les mains �� ses tempes, encore ensommeill��e, lorsqu'un cri sourd la fit sauter sur le tapis.
--Jeanne!... Jeanne!... qu'as-tu? r��ponds-moi! demanda-t-elle.
Et, comme l'enfant se taisait, elle murmura, tout en courant prendre la veilleuse:
--Mon Dieu! elle n'��tait pas bien, je n'aurais pas d? me coucher.
Elle entra vivement dans la pi��ce voisine o�� un lourd silence s'��tait fait. Mais la veilleuse, noy��e d'huile, avait une tremblante clart�� qui envoyait seulement au plafond une tache ronde. H��l��ne, pench��e sur le lit de fer, ne put rien distinguer d'abord. Puis, dans la lueur bleuatre, au milieu des draps rejet��s, elle aper?ut Jeanne raidie, la t��te renvers��e, les muscles du cou rigides et durs. Une contraction d��figurait le pauvre et adorable visage; les yeux ��taient ouverts, fix��s sur la fl��che des rideaux.
--Mon Dieu! mon Dieu! cria-t-elle, mon Dieu! elle se meurt!
Et, posant la veilleuse, elle tata sa fille de ses mains tremblantes. Elle ne put trouver le pouls. Le coeur semblait s'arr��ter. Les petits bras, les petites jambes se tendaient violemment. Alors, elle devint folle, s'��pouvantant, b��gayant:
--Mon enfant se meurt! Au secours!... Mon enfant! mon enfant!
Elle revint dans la chambre, tournant et se cognant, sans savoir o�� elle allait; puis, elle rentra dans le cabinet et se jeta de nouveau devant le lit, appelant toujours au secours. Elle avait pris Jeanne entre ses bras, elle lui baisait les cheveux, promenait les mains sur son corps, en la suppliant de r��pondre. Un mot, un seul mot. O�� avait- elle mal? D��sirait-elle un peu de la potion de l'autre jour? Peut-��tre l'air l'aurait-il ranim��e? Et elle s'ent��tait �� vouloir l'entendre parler.
--Dis-moi, Jeanne, oh! dis-moi, je t'en prie!
Mon Dieu! et ne savoir que faire! Comme ?a, brusquement, dans la nuit. Pas m��me de lumi��re. Ses id��es se brouillaient. Elle continuait de causer �� sa fille, l'interrogeant et r��pondant pour elle. C'��tait dans l'estomac que ?a la tenait; non, dans la gorge. Ce ne serait rien. Il fallait du calme. Et elle faisait un effort pour avoir elle-m��me toute sa t��te. Mais la sensation de sa fille raide entre ses bras lui soulevait les entrailles. Elle la regardait, convuls��e et sans souffle; elle tachait de raisonner, de r��sister au besoin de crier. Tout �� coup, malgr�� elle, elle cria.
Elle traversa la salle �� manger et la cuisine, appelant:
--Rosalie! Rosalie!... Vite, un m��decin!... Mon enfant se meurt! La bonne, qui couchait dans une petite pi��ce derri��re la cuisine, poussa des exclamations. H��l��ne ��tait revenue en courant. Elle pi��tinait en chemise, sans para?tre sentir le froid de cette glaciale nuit de f��vrier. Cette bonne laisserait donc mourir son enfant! Une minute s'��tait �� peine ��coul��e. Elle retourna dans la cuisine, rentra dans la chambre. Et, rudement, �� tatons, elle passa une jupe, jeta un chale sur ses ��paules. Elle renversait les meubles, emplissait de la violence de son d��sespoir cette chambre o�� dormait une paix si recueillie. Puis, chauss��e de pantoufles, laissant les portes ouvertes, elle descendit elle-m��me les trois ��tages, avec cette id��e qu'elle seule ram��nerait un m��decin.
Quand la concierge eut tir�� le cordon, H��l��ne se trouva dehors, les oreilles bourdonnantes, la t��te perdue. Elle descendit rapidement la rue Vineuse, sonna chez le docteur Bodin, qui avait d��j�� soign��
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