notre temps est autrement dangereuse,--on a pu constater que les solutions présentées dépendent le plus souvent de la nationalité ou des sympathies avérées des polémistes. Quant aux Turcs, ils ont englobé sous le nom de roumis[8] les divers peuples chrétiens soumis à leur domination, tous appartenant au rite orthodoxe, qu'ils relèvent du patriarcat grec de Constantinople, des évéchés serbes d'Uskub et de Prissrend, ou de l'exarchat bulgare, depuis que cette dernière nationalité a constitué à part son église, que le synode oecuménique considère arbitrairement comme schismatique.
[Note 8: Après la conquête de Constantinople, les vainqueurs, fiers d'avoir détruit l'empire romain, appelèrent les chrétiens subjugués romei, ou plus simplement, roumi.]
Nous ne prétendons ni entrer dans des détails de statistique, ni discuter les polémiques acharnées qui se sont décha?nées entre écrivains allemands, slaves, hongrois et roumains, au sujet de la permanence des éléments issus des colonies romaines dans la Dacie trajane et la péninsule balkanique. Aussi bien que pour les races germaniques et slaves du nord, par exemple, il est bien difficile d'établir exactement la véritable origine ethnique des peuples classifiés aujourd'hui comme Slaves, Grecs, etc.[9].
[Note 9: ?Nulle part la nationalité n'est unique... La France, l'état le plus national de l'Europe après l'Italie, renferme elle-même des éléments hétérogènes, les Bretons et les Basques. L'Empire allemand a des Polonais, des Vendes, des Danois et des Fran?ais.? (BLüNTSHLI, la Politique.)]
Les populations du massif des Balkans et du Pinde se sont plus ou moins mélangées, et si l'on compare anthropologiquement bon nombre des habitants dits Grecs, Roumains ou Slaves de la Macédoine et de l'épire, on est bien porté à croire qu'ils formaient à l'origine un même peuple, dont, par la suite, les éléments se seraient ici grécisés, là roumanisés, ailleurs slavisés.
Et une frontière politique n'embarrasse pas cette théorie. Si anciennement la péninsule hellénique était occupée par une ou plusieurs races venues de la Méditerranée, il est permis de soutenir que les ancêtres des sujets du roi Georges furent originaires, en majeure partie du moins, des Balkans et surtout du Pinde. De telle sorte, c'est le rameau qui voudrait passer pour le tronc.
La classification des peuples est généralement basée sur la langue qu'ils parlent. Cette règle souffre exception; dans tous les cas, elle ne saurait être appliquée à certaines parties de la Macédoine et de l'épire[10]. Il ne faut pas oublier, en effet, que la langue grecque étant devenue d'un usage presque universel en Orient pour l'enseignement religieux et scolaire aussi bien que pour les relations commerciales, cette circonstance n'implique pas du tout que les différentes nationalités aient renoncé à leurs idiomes particuliers; parfois, au contraire, elles les ont jalousement conservés à travers les siècles.
[Note 10: Aujourd'hui, pas plus la Macédoine que l'Albanie et l'épire ne sont des expressions géographiques officielles, car la première de ces provinces est comprise dans les vilayets de Salonique, de Monastir et d'Uskub, et la seconde dans les vilayets de Scutari, de Janina, de Monastir et d'Uskub.]
Qu'on nous permette de citer un exemple pris au delà du Danube, celui des anciennes principautés de Valachie et de Moldavie. Anciennement, le slavon y était employé depuis un temps immémorial comme langue du culte et de l'administration, absolument comme le latin chez les peuples occidentaux du moyen age. Vers le quinzième siècle, les moines grecs ou hellénisés commencèrent à se substituer dans ces principautés aux représentants du slavisme, de telle sorte que, favorisée par les princes phanariotes envoyés par la Porte, la culture grecque fleurit dans les principautés jusqu'au moment où le mouvement de renaissance latine l'en bannit à son tour. Mais la culture grecque, comme antérieurement la culture slave, n'avait pas réussi à étouffer le sentiment national chez les ancêtres des Roumains actuels et à leur faire oublier leur langue néo-latine: pris en masse, ils n'avaient pas plus compris le slavon, puis le grec, que, de nos jours, la plupart des Macédo-Roumains ne comprennent cette dernière langue; dans tous les cas, aucune des femmes de ceux-ci n'y est initiée.
De même, l'équivoque résultant, dans le Pinde, de la confusion établie entre la religion et la culture grecque, d'une part, et le sentiment national de race, d'autre part, ne saurait servir de base au classement ethnique dans ces régions. Les descendants des légionnaires romains ont su conserver, depuis les jours de Paul-émile et à travers les effroyables tourmentes de deux millénaires, la conscience de leur origine, et il n'y a peut-être pas, dans l'histoire des peuples, un second exemple d'une telle vitalité de race. Ce n'est pas d'ailleurs la seule nationalité que la tutelle religieuse du patriarcat grec ait été impuissante à convertir à l'hellénisme, sans parler des Bulgares de Macédoine qui s'en sont affranchis violemment.
C'est dans l'intérêt même d'une solution pacifique du problème oriental, et sans parti pris pour ou contre l'une des races chrétiennes de la Péninsule, que nous avons cru devoir fournir
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