Poussée par le Drang nach Osten, à l'aide du Zollverein,--ou, pour employer
une expression plus récente, de «l'association économique de l'Europe centrale» qui
cache des arrière-pensées politiques,--elle cherche à parvenir jusqu'à l'Adriatique et à
Trieste. Les pangermanistes ne se gênent point pour déclarer que ce port, qui est la porte
commerciale naturelle ouverte sur l'Orient et le canal de Suez, est absolument
indispensable à la prospérité future de l'empire agrandi, et qu'il le faudra conquérir au
prix de n'importe quels sacrifices; ils ajoutent que Pola doit devenir un grand port
militaire pour la flotte allemande.
Déjà, en 1818, M. de Metternich avait eu l'idée de faire entrer la ville de Trieste dans la
Confédération germanique dont l'Autriche avait la présidence. Le projet n'aboutit pas, car
l'acte final du Congrès de Vienne, qui stipulait expressément tous les territoires compris
dans la Confédération, ne mentionnait ni Trieste ni les possessions italiennes de la maison
de Habsbourg. Cette idée fut reprise par le gouvernement autrichien en 1849, et
l'opposition catégorique de la France, de l'Angleterre et de la Russie empêcha seule que
toute l'Europe centrale ne tombât dès lors dans le domaine économique allemand.
On peut se rendre compte de l'influence écrasante que l'Allemagne aurait sur la péninsule
balkanique si les idées des pangermanistes se réalisaient. En attendant, nous voyons avec
quelle habileté, profitant de l'antagonisme traditionnel de l'Angleterre et de la Russie,
l'Empire allemand a su se créer à Constantinople une situation absolument prépondérante
par le chemin de fer de Bagdad.
Grâce à ce chemin de fer, dans la construction duquel l'Allemagne a placé d'importants
capitaux, l'Anatolie et la Mésopotamie vont être ouvertes au commerce universel.
La ligne Berlin-Constantza-Constantinople-Bagdad-Bassora a un très grand avenir, car
elle constituera le chemin le plus court de l'Europe septentrionale vers les Indes. La
plupart des voyageurs pour les Indes et le golfe Persique la préféreront au trajet de la mer
Rouge et elle bénéficiera sans doute aussi du transport de beaucoup de marchandises d'un
poids relativement faible. Les Allemands projettent ainsi d'assurer à leur activité
industrielle et commerciale de vastes débouchés et la meilleure part du trafic avec l'Asie
Mineure, l'Asie centrale et les Indes.
Dans les Alldeutsche Blætter du 8 décembre 1895, nous trouvons exposées ainsi les vues
pangermaniques sur l'empire asiatique des Turcs: «L'intérêt allemand demande que la
Turquie d'Asie au moins soit placée sous le protectorat allemand, et le plus avantageux
serait pour nous l'acquisition en propre de la Mésopotamie et de la Syrie, et d'autre part
l'obtention du protectorat de l'Asie Mineure.»
Notre opinion est que ces désirs sont irréalisables. Une Allemagne qui barrerait l'Europe
du nord au sud, de la Baltique à la Méditerranée, et qui s'étendrait même en Asie Mineure,
serait trop puissante pour supposer que les autres nations européennes lui permettent une
telle expansion.
Voyons maintenant si la politique panslaviste a plus de chances de se réaliser un jour.
La Russie suit actuellement une politique indécise; la guerre d'Extrême-Orient prend des
proportions que sa diplomatie n'a pas su prévoir et l'oblige à concentrer son maximum
d'efforts contre le Japon et la Chine, ce qui amoindrira certainement, pour un temps
donné, son influence à Constantinople. L'Empire des tsars, qui est à cheval sur deux
parties du monde, poursuit, en effet, le double but de s'assurer des débouchés sur la
Méditerranée et sur le golfe de Petchili. C'est la reconnaissance d'une loi historique
d'après laquelle les États maritimes ont seuls atteint, dès la plus haute antiquité, le comble
de la prospérité et de la puissance.
Les Russes ont toujours convoité la possession de la péninsule balkanique. Pierre le
Grand, comprenant l'importance qu'aurait pour son empire la possession du Bosphore et
des Dardanelles, rêvait déjà d'étendre sa domination sur Constantinople, considérée
comme la clef des mers. Sa politique fut suivie par Catherine II et demeura traditionnelle
pour tous les souverains qui lui ont succédé et dont l'idéal fut la réalisation de ce qu'on est
convenu d'appeler «le testament de Pierre le Grand».
Partant de là, de tout temps la Russie a cherché à susciter des difficultés à l'Empire turc,
en poussant les petits peuples balkaniques à secouer le joug ottoman. C'est ainsi qu'elle
procéda avec les Grecs pendant la révolution de 1821, puis avec les Serbes, les
Bosniaques, les Herzégoviniens et les Bulgares, en faveur desquels elle intervint au nom
de la chrétienté, quand elle entreprit la mémorable guerre de 1877-78, clôturée par les
traités de San-Stefano et de Berlin. En vertu du premier de ces traités, la Turquie avait été
morcelée au seul avantage du slavisme, ou pour tout dire du tsarisme, et elle risquait
d'être bientôt effacée de la carte d'Europe. L'attitude résolue de l'Angleterre en
antagonisme avec la Russie fit restituer au sultan une partie des possessions qui allaient
lui être enlevées, non sans le laisser en butte, autant que
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