daignant guère cultiver le m?rier et recueillir la soie; ayant perdu l'art de la menuiserie autrefois très-florissant chez lui et aujourd'hui complétement oublié; n'ayant pas de chevaux (l'Espagne s'empare maternellement de tous les poulains de Majorque pour ses armées, d'où il résulte que le pacifique Majorquin n'est pas si sot que de travailler pour alimenter la cavalerie du royaume); ne jugeant pas nécessaire d'avoir une seule route, un seul sentier praticable dans toute son ?le, puisque le droit d'exportation est livré au caprice d'un gouvernement qui n'a pas le temps de s'occuper de si peu de chose, le Majorquin végétait et n'avait plus rien à faire qu'à dire son chapelet et rapiécer ses chausses, plus malades que celles de don Quichotte, son patron en misère et en fierté, lorsque le cochon est venu tout sauver. L'exportation de ce quadrupède a été permise, et l'ère nouvelle, l'ère du salut, a commencé.
Les Majorquins nommeront ce siècle, dans les siècles futurs, l'age du cochon, comme les musulmans comptent dans leur histoire l'age de l'éléphant.
Maintenant l'olive et la caroube ne jonchent plus le sol, la figue du cactus ne sert plus de jouet aux enfants, et les mères de famille apprennent à économiser la fève et la patate. Le cochon ne permet plus de rien gaspiller, car le cochon ne laisse rien perdre; et il est le plus bel exemple de voracité généreuse, jointe à la simplicité des go?ts et des moeurs, qu'on puisse offrir aux nations. Aussi jouit-il à Majorque des droits et des prérogatives qu'on n'avait point songé jusque là à offrir aux hommes. Les habitations ont été élargies, aérées; les fruits qui pourrissaient sur la terre ont été ramassés, triés et conservés, et la navigation à la vapeur, qu'on avait jugée superflue et déraisonnable, a été établie de l'?le au continent.
C'est donc grace au cochon que j'ai visité l'?le de Majorque; car si j'avais eu la pensée d'y aller il y a trois ans, le voyage, long et périlleux sur les caboteurs m'y e?t fait renoncer. Mais, à dater de l'exportation du cochon, la civilisation a commencé à pénétrer.
On a acheté en Angleterre un joli petit steamer, qui n'est point de taille à lutter contre les vents du nord, si terribles dans ces parages; mais qui, lorsque le temps est serein, transporte une fois par semaine deux cents cochons et quelques passagers par-dessus le marché, à Barcelone.
Il est beau de voir avec quels égards et quelle tendresse ces messieurs (je ne parle point des passagers) sont traités à bord, et avec quel amour on les dépose à terre. Le capitaine du steamer est un fort aimable homme, qui, à force de vivre et de causer avec ces nobles bêtes, a pris tout à fait leur cri et même un peu de leur désinvolture. Si un passager se plaint du bruit qu'ils font, le capitaine répond que c'est le son de l'or monnayé roulant sur le comptoir. Si quelque femme est assez bégueule pour remarquer l'infection répandue dans le navire, son mari est là pour lui répondre que l'argent ne sent point mauvais, et que sans le cochon il n'y aurait pour elle ni robe de soie, ni chapeau de France, ni mantille de Barcelone. Si quelqu'un a le mal de mer, qu'il n'essaie pas de réclamer le moindre soin des gens de l'équipage; car les cochons aussi ont le mal de mer, et cette indisposition est chez eux accompagnée d'une langueur spleenétique et d'un dégo?t de la vie qu'il faut combattre à tout prix. Alors, abjurant toute compassion et toute sympathie pour conserver l'existence à ses chers clients, le capitaine en personne, armé d'un fouet, se précipite au milieu d'eux, et derrière lui les matelots et les mousses, chacun saisissant ce qui lui tombe sous la main, qui une barre de fer, qui un bout de corde, en un instant toute la bande muette et couchée sur le flanc est fustigée d'une fa?on paternelle, obligée de se lever, de s'agiter, et de combattre par cette émotion violente l'influence funeste du roulis.
Lorsque nous rev?nmes de Majorque à Barcelone, au mois de mars, il faisait une chaleur étouffante; cependant il ne nous fut point possible de mettre le pied sur le pont. Quand même nous eussions bravé le danger d'avoir les jambes avalées par quelque pourceau de mauvaise humeur, le capitaine ne nous eut point permis, sans doute, de les contrarier par notre présence. Ils se tinrent fort tranquilles pendant les premières heures; mais, au milieu de la nuit, le pilote remarqua qu'ils avaient un sommeil bien morne, et qu'ils semblaient en proie à une noire mélancolie. Alors on leur administra le fouet, et régulièrement, à chaque quart d'heure, nous f?mes réveillés par des cris et des clameurs si épouvantables, d'une part la douleur et la rage des cochons fustigés, de l'autre les
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.