précieux que les habitants ne se croient pas dignes de le manger: c'est absolument le même que nous cultivons dans nos provinces centrales, et que nos paysans appellent blé blanc ou blé d'Espagne; il est chez nous tout aussi beau, malgré la différence du climat. Celui de Majorque devrait avoir pourtant une supériorité marquée sur celui que nous disputons à nos hivers si rudes et à nos printemps si variables. Et pourtant notre agriculture est fort barbare aussi, et, sous ce rapport, nous avons tout à apprendre; mais le cultivateur fran?ais a une persévérance et une énergie que le Majorquin mépriserait comme une agitation désordonnée.
La figue, l'olive, l'amande et l'orange viennent en abondance à Majorque; cependant, faute de chemins dans l'intérieur de l'?le, ce commerce est loin d'avoir l'extension et l'activité nécessaires. Cinq cents oranges se vendent sur place environ 3 francs; mais, pour faire transporter à dos de mulet cette charge volumineuse du centre à la c?te, il faut dépenser presque autant que la valeur première. Cette considération fait négliger la culture de l'oranger dans l'intérieur du pays; Ce n'est que dans la vallée de Soller et dans le voisinage des criques, où nos petits batiments viennent charger, que ces arbres croissent en abondance. Pourtant ils réussiraient partout, et dans notre montagne de Valdemosa, une des plus froides régions de l'?le, nous avions des citrons et des oranges magnifiques, quoique plus tardives que celles de Soller. A la Granja, dans une autre région montagneuse, nous avons cueilli des limons gros comme la tête. Il me semble qu'à elle seule l'?le de Majorque pourrait entretenir de ces fruits exquis toute la France, au même prix que les détestables oranges que nous tirons d'Hyères et de la c?te de Gènes. Ce commerce, tant vanté à Majorque, est donc, comme le reste, entravé par une négligence superbe.
On peut en dire autant du produit immense des oliviers, qui sont certainement les plus beaux qu'il y ait au monde, et que les Majorquins, grace aux traditions arabes, savent cultiver parfaitement. Malheureusement ils ne savent en tirer qu'une huile rance et nauséeuse qui nous ferait horreur, et qu'ils ne pourront jamais exporter abondamment qu'en Espagne, où le go?t de cette huile infecte règne également. Mais l'Espagne elle-même est très-riche en oliviers, et si Majorque lui fournit de l'huile, ce doit être à fort bas prix.
Nous faisons une immense consommation d'huile d'olive en France, et nous l'avons fort mauvaise à un prix exorbitant. Si notre fabrication était connue à Majorque et si Majorque avait des chemins, enfin si la navigation commerciale était réellement organisée dans cette direction, nous aurions l'huile d'olive beaucoup au-dessous de ce que nous la payons, et nous l'aurions pure et abondante, quelle que fut la rigueur de l'hiver. Je sais bien que les industriels qui cultivent l'olivier de paix en France préfèrent de beaucoup vendre au poids de l'or quelques tonnes de ce précieux liquide, que nos épiciers noient dans des foudres d'huile d'oeillet et de colza pour nous l'offrir au _prix co?tant_; mais il serait étrange qu'on s'obstinat à disputer cette denrée à la rigueur du climat, si, à vingt-quatre heures de chemin, nous pouvions nous la procurer meilleure à bon marché.
Que nos assentistes fran?ais ne s'effraient pourtant pas trop: nous promettrions au Majorquin, et, je crois, à l'Espagnol en général, de nous approvisionner chez eux et de décupler leur richesse, qu'ils ne changeraient rien à leur coutume. Ils méprisent si profondément l'amélioration qui vient de l'étranger, et surtout de la France, que je ne sais si pour de l'argent (cet argent que cependant ils ne méprisent pas en général) ils se résoudraient à changer quelque chose au procédé qu'ils tiennent de leurs pères[3].
[Note 3: Cette huile est si infecte qu'on peut dire que dans l'?le de Majorque, maisons, habitants, voitures, et jusqu'à l'air des champs, tout est imprégné de sa puanteur. Comme elle entre dans la composition de tous les mets, chaque maison la voit fumer deux ou trois fois par jour, et les murailles en sont imbibées. En pleine campagne, si vous êtes égaré, vous n'avez qu'à ouvrir les narines; et, si une odeur d'huile rance arrive sur les ailes de la brise, vous pouvez être s?r que derrière le rocher ou sous le massif de cactus vous allez trouver une habitation. Si dans le lieu le plus sauvage et le plus désert cette odeur vous poursuit, levez la tête; vous verrez à cent pas de vous un Majorquin sur son ane descendre la colline et se diriger vers vous. Ceci n'est ni une plaisanterie ni une hyperbole; c'est l'exacte vérité.]
III.
Ne sachant ni engraisser les boeufs, ni utiliser la laine, ni traire les vaches (le Majorquin déteste le lait et le beurre autant qu'il méprise l'industrie); ne sachant pas faire pousser assez de froment pour oser en manger; ne
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