Un amour vrai | Page 6

Laure Conan
lui et pour moi, en attendant qu'il vous connaisse.
Comme je m'agenouillais devant l'autel de la sainte Vierge, pour lui confirmer cette promesse, la lumi��re du soleil, glissant �� travers les vitraux, fit �� la statue comme une aur��ole de joie et de gloire; son doux visage sembla sourire.
Je sortis tr��s calme et tr��s heureuse. M. Douglas m'avait attendue. Il parla peu le long du chemin et ne fit aucune allusion �� ce qui s'��tait pass�� entre nous, mais nous nous comprenions parfaitement. Sur le rivage, une pauvre femme ramassait p��niblement les branches apport��es par la mer.
--Rendons-la heureuse aussi, dit Francis.
Il me donna sa bourse et je la remis �� la pauvre vieille, qui la re?ut en nous b��nissant.
Nous marchions en silence.
Jamais je ne m'��tais sentie si heureuse de vivre.
Les oiseaux chantaient, la mer chantait et mon ame aussi chantait. Il me semblait respirer la vie dans les senteurs des bois, dans les parfums de la mer. �� l'horizon, le soleil baissait. Nous nous ass?mes sur les rochers pour le regarder coucher. Je n'oublierai jamais ce tableau: devant nous, le Saint-Laurent si beau sous sa parure de feu; au loin, les montagnes bleues; partout une splendeur enflamm��e sur ce paysage enchanteur. Francis regardait enthousiasm��, mais son noble visage s'assombrit tout �� coup.
--Pourquoi faut-il que les beaux jours finissent, me dit-il tristement.
J'��tais heureuse, enchant��e, ravie, et je lui dis:
--Ne soyons pas ingrats. Regardez autour de vous, et dites-moi ce que sera la patrie, puisque l'exil est si beau.
Il me regarda avec une expression que je n'oublierai jamais, et r��pondit �� voix basse:
--Dites plut?t: Regardez dans votre coeur.
Et un peu apr��s il continua:
--L'amour fait comprendre le ciel, mais ce beau coucher de soleil me rappelle que la vie passe.
La soir��e s'est pass��e �� l'h?tel. Francis ��tait tr��s grave, mais il y avait dans sa voix une douceur p��n��trante qui ne lui est pas ordinaire, et quand je rencontrais son regard, j'y voyais luire cette lumi��re fugitive qui traverse parfois ses yeux comme un ��clair. Il ne me parla gu��re; mais, sans rien faire qui puisse attirer l'attention, il a l'art charmant de me laisser voir qu'il s'occupe de moi. Cette bonne Mme L..., s'adressant �� Mlle V... et �� moi, nous fit observer que M. Douglas avait l'air heureux.
--Ce que je vois le mieux, c'est qu'il est bien bon, r��pondit Mlle V...,--qui se pique de dire toujours ce qu'elle pense, et un instant apr��s elle ajouta:--Je voudrais bien savoir pourquoi il est ce soir aussi grave, aussi recueilli qu'un j��suite qui sort de retraite.
21 ao?t.
Comme j'ouvrais ma fen��tre ce matin, un bouquet adroitement lanc�� tomba �� mes pieds.--Remerciez-moi, dit Francis quand nous nous rencontrames.--Je remerciai, mais avec des restrictions sur la mani��re d'offrir les fleurs. Il m'��couta avec ce sourire qui ��claire son visage--et mon coeur aussi.
--Si vous saviez, me dit-il, depuis combien de temps j'attendais pour vous l'offrir!
Et il chanta �� demi-voix:
�� l'heure o�� s'��veille la rose, Ne dois-tu pas te r��veiller?
J'ai port�� son bouquet �� l'��glise. Je veux qu'il se fane devant le saint sacrement, et quand il sera fl��tri, j'irai le reprendre pour le conserver toujours. Seigneur J��sus, vous ��tes au milieu de nous et il ne vous conna?t pas. Il ne croit pas au myst��re de votre amour. Mais vous pouvez lui ouvrir les yeux de l'ame, et le faire tomber croyant et ravi �� vos pieds.
Aujourd'hui, je suis all��e voir une jeune fille morte la nuit derni��re. J'avais besoin de me p��n��trer de quelque grave pens��e, car j'��tais comme enivr��e de mon bonheur. Je restai longtemps �� c?t�� du lit o�� la pauvre enfant ��tait couch��e dans cette attitude effrayante qui n'appartient qu'�� la mort. La croix noire tranchait lugubrement sur la blancheur du drap qui la couvrait. Je soulevai le linceul et regardai longtemps. Ah! Francis, serait-il possible de ne nous aimer que pour cette vie qui passe?
Tout passe et nous passerons comme tout le reste, mais je veux que celui de nous qui survivra �� l'autre puisse dire ce qu'Alexandrine de la Ferronnays ��crivait apr��s la mort d'Albert: "? mon Dieu, souvenez-vous que pas une parole de tendresse n'a ��t�� ��chang��e entre nous, sans que votre nom ait ��t�� prononc�� et votre b��n��diction implor��e."
7 septembre.
Hier, nous avons fait une promenade �� l'?le-aux-Coudres, excursion que la pr��sence de Francis m'a rendue vraiment d��licieuse. Puis, il y a maintenant dans mon ame quelque chose qui donne �� la nature une splendeur que je ne lui connaissais pas. Mon Dieu, quel sera donc le ravissement de vous aimer dans votre ciel si beau, puisque, d��s cette vie, il y a tant de bonheur �� aimer vos cr��atures!
Au havre Jacques-Cartier, nous nous sommes agenouill��s �� l'endroit o�� la messe a ��t�� dite pour la premi��re fois au Canada. Je ne regardai pas M. Douglas. Il m'��tait p��nible de le voir
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