Un amour vrai | Page 5

Laure Conan
si calme qu'un souffle soudain ne le puisse troubler effroyablement; est-ce l'oc��an ou le coeur de l'homme?
"Riche et immense, et voulant toujours s'enrichir et s'agrandir, toujours prompt �� franchir ses limites, toujours contraint d'y rentrer, emprisonn�� par des grains de sable: est-ce le coeur de l'homme ou l'oc��an?
"Oc��an! coeur de l'homme! quand vous avez bien mugi, bien d��chir�� les rivages, vous emportez pour butin quelques st��riles d��bris qui se perdent dans vos ab?mes!"
12 juillet.
Enfin, je connais la cause de sa tristesse, et je sais aussi quel est ce sentiment que je prenais pour une admiration vive.
Pourquoi suis-je rest��e ici? J'aurais d? le fuir. Maintenant, c'est trop tard.
Hier nous avons caus�� intimement. Il m'a parl�� de l'ami qu'il a perdu, et l'indicible joie que j'ai sentie en l'entendant dire qu'il n'avait jamais aim�� que son ami m'a ��t�� une r��v��lation. ? mon Dieu! ayez piti�� de moi. Je le sais, _celui qui n'a pas l'��glise pour m��re ne peut vous avoir pour p��re;_ je le sais, mais il m'est impossible de ne pas l'aimer.
30 juillet.
M. Douglas me parle toujours de son ami, mais avec une sensibilit�� si vraie, si profonde, qu'il est impossible de l'entendre sans ��tre touch�� au del�� de tout ce qu'on peut dire. En l'��coutant, je me rappelle cette parole de David pleurant son Jonathas: "Je t'aimais comme les femmes aiment."
Il m'a montr�� le portrait de son ami et quelques-unes de ses lettres. Je les ai lues avec un attendrissement profond, et maintenant je comprends la profondeur de ses regrets. Pourquoi l'amiti��, si rare chez les hommes, l'est-elle encore plus chez les femmes? Deux ans bient?t que Charles de Kerven est mort. Je pense bien souvent �� ce pauvre jeune homme qui dort l��-bas, sur la terre de Bretagne. J'aime �� prier pour lui. Il a eu de grands malheurs, il est mort �� la fleur de l'age, mais il a ��t�� profond��ment aim�� par l'homme le plus noble qui fut jamais.

II
(F��te de Saint Bernard)
Saint Bernard disait �� la sainte Vierge: "Je consens �� n'entendre jamais parier de vous, si quelqu'un peut dire qu'il vous a invoqu��e sans ��tre secouru." Bon saint! Je veux me rappeler cette parole, chaque fois que je dirai le _Souvenez-vous_ pour Francis.
Oh! auguste Vierge, ma douce m��re, je vous en prie, faites que mon amour pour lui ne d��plaise jamais �� vos yeux tr��s purs, et daignez vous-m��me l'offrir �� Dieu.
Cette apr��s-midi, j'��tais sur la gr��ve avec plusieurs amies. On parla du prochain d��part de M. Douglas pour l'��cosse. Je n'y crus pas, et pourtant quel poids ces paroles me mirent sur le coeur! Si c'��tait vrai... s'il devait partir, me disais-je... et ne faudra-t-il pas qu'il parte un jour? Cette pens��e me bouleversait, m'accablait. Comme je me sentais observ��e, je pris un pr��texte pour m'��loigner. Ne plus jamais l'entendre! Ne plus jamais le voir!
? mon Dieu, quel serait donc le malheur de vous perdre pour jamais; puisque la seule pens��e d'��tre s��par��e de lui me faisait si cruellement souffrir!
Je marchais au hasard sur la gr��ve; tout �� coup, apercevant le clocher qui brillait au soleil, je pensai �� celui qui a de la consolation pour toutes les douleurs, et je me dirigeai vers l'��glise. Bient?t j'entendis, derri��re moi, ce pas l��ger que je connais si bien, et, un instant apr��s, M. Douglas me rejoignit. Est-il vrai que vous partiez bient?t? lui demandai-je.--Et comment vivrais-je sans vous? me r��pondit-il vivement.
Puis troubl��, ��mu, il me dit qu'avec moi il se consolerait de la mort de son ami... qu'il avait cru sa vie bris��e pour jamais, mais que je lui avais rendu la foi au bonheur. Nous marchames ensuite sans ��changer une seule parole. Comme nous montions la petite c?te qui conduit de la gr��ve au chemin public, il me dit �� demi-voix: Essuyez vos yeux il ne faut pas que d'autres que moi voient ces larmes. Oui, c'��tait vrai, je pleurais sans m'en apercevoir. Quand nous f?mes �� l'��glise: Je venais ici, lui dis-je. Lui, m'appelant pour la premi��re fois par mon nom de bapt��me, me demanda gravement: Th��r��se, pourquoi pleuriez-vous? Je me sentis rougir, et, ne trouvant rien �� r��pondre, je lui dis: Laissez-moi, je vais prier pour vous. Il m'ouvrit la porte de l'��glise.
? mon Dieu, quel bonheur de vous prier pour lui, vous, l'arbitre souverain de son sort ��ternel! Il n'est pas l'enfant de votre ��glise, et �� cause de cela j'aurais voulu ne pas l'aimer, mais vous m'avez donn�� pour lui tous les d��vouements et toutes les tendresses. ? Christ, mon sauveur, je sais que tout don parfait vient de vous, mais souvenez-vous de mon ardente pri��re, et faites-moi m��riter pour lui la foi; faites-la moi m��riter par n'importe quelles douleurs, par n'importe quels sacrifices. Et vous, ma divine m��re, je vous promets de vous aimer, de vous honorer pour
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