Un Mois en Afrique | Page 6

Pierre-Napoléon Bonaparte
les places ayant été retenues, je louai une voiture et je partis le
lendemain de grand matin, avec l'excellent capitaine Gautier qui avait voulu
m'accompagner. Nous traversâmes les nouveaux villages de Saint-Antoine et Gastonville,
ce dernier peuplé de pauvres prolétaires parisiens qui sont venus chercher un meilleur
sort dans la colonisation, tache difficile pour laquelle, malgré leur courage, ils n'ont ni la
force, ni l'aptitude nécessaires. Au camp d'El-Arrouch, je fus retenu à déjeuner, de la
manière la plus aimable, par MM. les officiers du 38e. Ils étaient tristes de voir la
garnison décimée par le choléra qui sévissait contre elle, plus cruellement qu'à
Philippeville et que sur aucun autre point de la division territoriale. Après avoir relayé au
camp de Smendou, nous arrivâmes fort tard à Constantine.
En l'absence du général Herbillon, parti à la tête de la colonne expéditionnaire, M. le
général de Salles, gendre de l'illustre maréchal Valée, me reçut le soir même, avec cette
parfaite et cordiale urbanité qui le fait aimer de tous ceux qui l'approchent. Le lendemain,
14, grâce à l'obligeant empressement de M. le capitaine de Neveu, chef du bureau arabe,
tous mes préparatifs de campagne, tentes, cantines, etc., étaient terminés. Je fus vivement
contrarié, et on le concevra sans peine dans une telle circonstance, de n'avoir pu, malgré

mes recherches, réussir à me monter convenablement. Ce que je trouvai de moins
mauvais, ce fut un petit cheval indigène, vif, mal dressé, peu maniable et peu vigoureux,
dont je dus pourtant me contenter.
Le 15 octobre, au point du jour, je quittai Constantine, pour rejoindre la colonne. Mon
escorte se composait du maréchal-des-logis Bussy et de quatre cavaliers du troisième
régiment de spahis, deux chasseurs d'Afrique, Rouxel et Valette, un soldat du train des
équipages, et Gérard, mon fidèle domestique ardennais.
Avant d'aller plus loin, il n'est peut-être pas inutile de donner ici un rapide aperçu des
causes qui avaient amené l'expédition à laquelle j'allais prendre part, et des faits qui
avaient précédé mon arrivée.
Dans l'origine, la politique du gouvernement était de maintenir un calme, au moins
apparent, dans la province, en pesant le moins possible sur les indigènes. Ce système, qui
avait d'abord réussi, permettait d'occuper avec le gros de nos forces les autres points du
pays plus agités. L'établissement de colonies agricoles sur la route de Constantine à
Philippeville vint tout à coup changer cet état de choses. De tout temps, les
communications entre ces deux villes avaient été inquiétées par les kabyles; mais
quelques attentats sur des hommes isolés, et un surcroît d'activité pour notre cavalerie
étaient considérés comme des inconvénients de peu d'importance par l'autorité, qui avait à
dessein fermé les yeux, afin d'éviter de plus graves complications.
Lorsque nous eûmes nos colons à protéger, on voulut en finir avec la Kabylie. Ce n'était
point facile, et on paraissait oublier qu'une des choses qui ont fait le plus de mal à
l'Algérie, c'est ce penchant à s'étendre continuellement et à occuper un trop grand nombre
de points, fût-ce avec des moyens insuffisants. Pour former les deux colonnes qui, au
mois de mai de l'année dernière, sous les ordres de MM. Herbillon et de Salles, ont agi
vers Bougie et Djidjeli, il avait fallu affaiblir les garnisons du sud, au point qu'on m'a
assuré que Batna était resté avec 500 hommes et Biscara avec 250. Les meilleurs officiers
furent appelés à faire partie de l'expédition; le brave et infortuné commandant de
Saint-Germain fut du nombre, et en son absence le commandement supérieur de Biscara
dut être confié à un capitaine. De ces mesures, dit-on, est sortie la guerre que les
dernières opérations de M. le colonel Canrobert, aujourd'hui général, viennent de
terminer.
Une des causes principales des derniers troubles a été, sans aucun doute, la trop grande
multiplication des bureaux arabes destinés à administrer les indigènes. Il y a inconvénient
à intervenir de trop près dans les phases intestines de l'existence des tribus. Dans le
Hodna, par exemple, la guerre a toujours existé, même du temps des Turcs. En pleine
hostilité aujourd'hui, demain les diverses tribus de ce territoire sont réconciliées par leurs
marabouts. Que nous importent ces dissensions, surtout si l'expérience a prouvé qu'elles
s'enveniment d'autant plus que nous nous en mêlons davantage? Si, comme on l'annonçait,
un nouveau bureau arabe est établi à Bouçada, la neutralité cesse d'être possible; l'officier
français, appelé à se prononcer entre les deux partis, tranche le différend ou le fait décider
par ses chefs, et si une soumission complète ne s'ensuit pas, en avant les colonnes! une
expédition devient indispensable.

Gouverner l'Algérie, y exercer le commandement suprême, mais n'administrer que les
points qui jamais ne pourront se soustraire à notre domination, telle est, en résumé, la
politique que nous aurions dû toujours suivre, si j'en crois mes impressions, et l'opinion
des hommes véritablement compétents.
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