Un Mois en Afrique | Page 5

Pierre-Napoléon Bonaparte
y furent encore renouvelées, et un jour même, à Saint-Cloud, on me témoigna
tant de mécontentement de mon hésitation que je dus croire vraiment qu'on n'attendait
que cet acte de présence à mon corps pour réaliser le mirage de la miraculeuse épaulette
que je poursuivais depuis si longtemps. J'avais protesté à satiété que je ne monterais pas
une garde tant que je ne compterais dans l'armée qu'au titre étranger; j'aurais dû, pour
tous ces motifs, maintenir ma résolution; mais ce qui enfin l'ébranla, ce fut la perspective
de la campagne qui se préparait dans le sud de la province de Constantine. Il fut décidé
que je serais envoyé en mission temporaire auprès du gouverneur général de l'Algérie, et
que d'Alger j'irais rejoindre la colonne expéditionnaire aux ordres du général Herbillon.
Toujours mécontent de ma position exceptionnelle, j'avais, quoi qu'on ait pu en dire, bien
et dûment stipulé avec tout le monde, président, ministres, intermédiaires officiels ou
officieux, que j'allais en Afrique pour n'y rester que le temps que je voudrais, pour en
revenir quand je le jugerais convenable, et pour n'y faire, au besoin, que l'acte de
présence qu'on paraissait croire indispensable à la régularisation de mon état militaire.
J'étais loin de croire qu'on contesterait un jour ces conventions, sans lesquelles je me
serais gardé d'accepter ma mission; mais si des preuves matérielles étaient nécessaires, je
pourrais produire des lettres que j'écrivis de Lyon, de Marseille et de Toulon, à plusieurs
de mes amis, avant de m'embarquer, lettres dans lesquelles je leur parlais de mon retour à
l'Assemblée pour le 15 novembre, au plus tard.
Le 1er octobre, jour de la reprise des travaux législatifs, j'assistai à la séance, j'obtins un
congé, et le lendemain, de bonne heure, je quittai Paris par le rail-way de Tonnerre. Le 3,
au soir, j'étais à Lyon, le 4 à Avignon, le 5 à Marseille. Je partis presque immédiatement
pour Toulon, où j'arrivai pendant la nuit. Cette jolie ville était dans la consternation, le
choléra décimait les habitants, les hôtels avaient été abandonnés par leurs propriétaires; à
la Croix de Malte, je fus reçu par le seul domestique qui restât dans la maison. Je passai
la journée du 6 à Toulon, et le 7, après midi, nous appareillâmes pour Alger, à bord du
Cacique, frégate à vapeur de l'État.
Nous arrivâmes le 9 au soir. Je me rendis immédiatement chez le gouverneur général, à
qui je remis une lettre du président de la République. Je reçus de M. le général Charon le

plus gracieux accueil; il voulut bien me retenir à dîner pour le soir même, et le jour
suivant. Le lendemain, avec le capitaine Dubost, aide-de-camp du gouverneur, je visitai
le magnifique jardin d'essai, où, entre autres merveilles, on voit de grands massifs
d'orangers; et la jolie campagne du brave général Jusuf qui, malgré ses glorieux services,
n'a pu obtenir son assimilation à nos autres généraux.
Le soir, j'assistai à une danse de ravissantes Moresques comme on n'en voit qu'à Alger, et
à une cérémonie religieuse très originale des nègres de la ville, qui sont de vrais
convulsionnaires. Je pris congé du gouverneur, et le lendemain, au matin, je partis pour
Philippeville, à bord d'un petit pyroscaphe côtier, affecté au service des dépêches. Nous
côtoyâmes assez près de terre les montagnes encore verdoyantes de la Kabylie; nous
relâchâmes à Dellys, Bougie, Djidjeli, et le lendemain, 12 octobre, nous étions à Stora.
C'est une belle baie, où l'on trouve un port sûr et spacieux, à une demi-heure de marche
de Philippeville. Notre pyroscaphe fut aussitôt entouré de plusieurs bateaux montés par
de nombreux marins. A leur costume, à leurs acclamations sympathiques, aux coups de
fusil et de pistolet dont ils me saluaient, je reconnus de suite nos intrépides et habiles
caboteurs d'Ajaccio qui, sur de frêles embarcations non pontées, se hasardent à aborder
aux côtes d'Afrique, pour y mener la vie laborieuse qui leur permet de rapporter quelques
économies à leurs familles. J'allai à terre avec ces rudes et chers enfants du peuple, et je
me mis en route pour Philippeville, en compagnie du capitaine Gautier, commandant la
gendarmerie de la province. Le chemin, taillé dans la montagne, suit les bords de la mer;
la vigoureuse végétation du sol d'alentour, couvert d'épais arbustes, me frappa par son
extrême ressemblance avec la Corse. A peu près à moitié route, on trouve une magnifique
batterie parfaitement entretenue.
A Philippeville, où je passai la journée du 12, je me présentai chez le commandant
supérieur, M. Cartier, major du deuxième régiment de la Légion étrangère, et je fis la
connaissance du commandant Vaillant, frère de nos deux généraux de ce nom, et savant
naturaliste. Une distance de vingt-deux lieues que parcourt une excellente route, exploitée
quotidiennement, comme en Europe, par un service de messageries, sépare Philippeville
de Constantine. Toutes
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