Un Mois en Afrique | Page 3

Pierre-Napoléon Bonaparte
courageux citoyen. Et certes, si le soir même il
n'avait résigné ses pouvoirs, j'ai tout lieu de croire qu'il n'en aurait pas fallu davantage
pour le porter à provoquer une décision touchant mon assimilation aux officiers qui
servent au titre français.
Lamartine est un grand caractère; je n'en veux pour preuve que les belles paroles que j'ai
recueillies de sa bouche, le jour où nous nommâmes la Commission exécutive. «Si je
voulais me séparer de Ledru-Rollin, nous dit-il, j'aurais deux cent mille hommes derrière
moi; mais je craint la réaction et la guerre civile.» Quoi qu'il en soit, n'est-il pas
profondément triste, après tant de vicissitudes, que ce que j'eusse obtenu de Lamartine,
ou peut-être même du général Cavaignac, m'ait été dénié, malgré bien des promesses
antérieures, par mon propre cousin, sous prétexte d'une opposition sincère et modérée,
que je n'aurais pu cesser sans abjurer ma religion politique, et abdiquer toute dignité et
toute indépendance?
Mais procédons par ordre.
A le Commission exécutive succéda le général Cavaignac. Le décret du 11 octobre 1848
abrogea formellement, en ce qui touchait ma famille, la loi du 10 avril 1832, qui,
confondant les proscripteurs et les proscrits, avait banni la branche aînée des Bourbons, et
maintenu, moins la sanction pénale, l'exil dont ils nous avaient frappés, par la loi du 12

janvier 1816. La candidature de Louis-Napoléon fut produite, et une immense
acclamation répondit qu'il était resté dans le coeur du peuple le souvenir de l'homme qui
avait porté à son plus haut degré le sentiment de notre nationalité. Le dix décembre,
comme je le dis alors, est la dernière page de l'histoire de l'empereur, et pour l'écrire, près
de six millions de Français ont déchiré les traités de 1815, et proclamé que la
sainte-alliance nous doit une revanche de Waterloo.
Malgré les efforts des républicains et de quelques hommes bien intentionnés qui tentèrent
d'arriver à la seule conciliation véritablement utile et durable, celle des deux grands
pouvoirs de la République, la Constituante, battue en brèche par le nouveau
gouvernement, vit adopter la motion Rateau, modifiée, il est vrai, par Lanjuinais, et fixer
à un court délai sa dissolution. Durant cette session d'une année, j'ose le dire, un grand
nombre de mes collègues d'opinions diverses m'avaient accordé quelque sympathie, et si
jamais j'ai pu espérer avec raison la régularisation de mon état militaire, c'est bien dès
l'avènement de Louis-Napoléon à la présidence jusqu'à l'installation de la Législative. A
part les dispositions bienveillantes dont je viens de parler, l'amitié de mon cousin, nos
relations qui dataient de loin, les promesses qu'il m'avait faites, tout m'autorisait à penser
que l'opportunité ne serait pas perdue. Je dois aussi ajouter la confiance que j'avais lieu de
placer, à cet égard, dans le chef du cabinet, M. Odilon Barrot, qui plus d'une fois avait
blâmé les administrations précédentes de ne m'avoir pas fait admettre dans un régiment
français. Bref, un mécontentement injuste de mes votes consciencieux, et conséquents
avec la voie que j'avais suivie avant même que Louis-Napoléon fût représentant du
peuple, des influences exclusives et que je ne signalerai pas davantage[3]; enfin, des
menées qui se résument dans le vieil adage: divide et impera, m'enlevèrent le modeste
succès que j'ambitionnais comme ma part, pour ainsi dire, dans le grand triomphe du dix
décembre.
[Note 3: Il m'est permis de croire que le président de la République, laissé à lui-même,
m'aurait appuyé. Peu de jours avant son élection, je causais avec lui, lorsqu'il m'exprima
l'intention de me donner le commandement d'un corps. Je lui fis sentir les difficultés qu'il
rencontrerait chez des hommes toujours prêts à crier au privilège, et dans les
susceptibilités de quelques-uns des honorables officiers qui siégeaient à l'Assemblée. Il
me répondit: «Si le peuple me nomme, il approuvera ce que je ferai pour ma famille qui a
tant souffert.»]
L'indifférence du ministère, qui, dans ce cas, était de l'hostilité, l'intention de me sacrifier
par le silence, étaient flagrantes. Au fond, je désespérais de réussir; deux fois déjà j'avais
donné ma démission; elle avait été refusée avec insistance par le président et par le
ministre de la guerre. Je résolus de tenter un dernier effort. Il y avait trop longtemps que
je poursuivais mon but, il était trop près, j'y tenais trop, pour me décourager
complètement. Quoique à regret, j'étais décidé à me retirer de la carrière, plutôt que de
servir au titre étranger. Je désirais surtout vivement obtenir la naturalisation de mon grade
de la Constituante. Au moment de nous séparer, j'aurais été heureux que l'accès de nos
rangs me fût ouvert par les collègues qui avaient brisé la loi de mon exil. Il me semblait
qu'une décision favorable eût été comme une accolade fraternelle, et qu'aucun effort ne
m'aurait coûté pour la justifier.

Sous l'empire de ces pensées, je résolus de présenter une pétition à
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 45
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.