Un Mois en Afrique | Page 2

Pierre-Napoléon Bonaparte
de m'interdire absolument
le service militaire, fût-ce comme simple soldat. En effet, pas plus comme simple soldat
que comme chef de bataillon, je n'eusse pu être admis, car l'article 1re de l'ordonnance du
28 avril 1832, explicative de la loi du 21 mars, porte qu'on n'est pas reçu à contracter un
engagement, si on est âgé de plus de trente ans. Or, en Février 1848, j'en avais
trente-deux. Si je puis m'exprimer ainsi, c'est, après un long exil, qu'on me permette de le
dire, une nouvelle proscription dans l'état; car comment appeler autrement une
disposition qui vous défend sans retour, dans votre patrie, la carrière à laquelle vous vous
étiez exclusivement voué, ou qui ne vous permet de la suivre que dans des conditions
anormales et intolérables?[2]
[Note 2: Voyez, pour le mode d'admission aux emplois des officiers au titre étranger, et
pour les conditions de leur état militaire, le chapitre VI du titre IX de l'ordonnance du 16
mars 1838, et, aux pièces justificatives, le discours que j'ai prononcé à la séance de
l'Assemblée législative, le 22 décembre 1849.]
Qu'on ne m'accuse pas de présomption, parce que j'ai supposé qu'une auguste assemblée
aurait pu être appelée à se prononcer sur un intérêt individuel et aussi secondaire. Non,
car non-seulement il est de l'essence des institutions démocratiques que les grands
pouvoirs de l'État ne dédaignent pas les réclamations des plus humbles citoyens, mais les
précédents parlementaires n'auraient pas manqué dans l'espèce.
Sous la monarchie de Juillet, les fils de l'immortel maréchal Ney passèrent ainsi, avec
leurs grades, des rangs étrangers dans ceux dont leur père avait été un des plus glorieux
luminaires. Les services des parents sont entrés plus d'une fois en ligne de compte, et
pour ne citer qu'une circonstance récente, n'avons-nous pas, à la Constituante de 1848,
voté par acclamation, et comme récompense nationale, la nomination, en dehors des
règles ordinaires, du jeune fils de l'illustre général Négrier, qu'un plomb fratricide enleva
si cruellement aux travaux législatifs et à l'armée?
Quoi qu'il en soit, nommé, au titre étranger, par le Gouvernement provisoire, je me
préparais à rejoindre mon régiment, lorsque un grand nombre de Corses résidant à Paris
m'offrirent la candidature de notre département à l'Assemblée Nationale. La vivacité des
sympathies de nos braves insulaires pour ma famille, leur culte enthousiaste pour la
mémoire de l'empereur, rendaient probable ma nomination. Devant l'espoir fondé d'être
au nombre des élus du Peuple, appelés à constituer définitivement la République, on
comprendra que le service d'Afrique, en temps de paix, et surtout dans un corps étranger,
dut me paraître une condition secondaire. M. le lieutenant-colonel Charras, alors
sous-secrétaire d'État au ministère de la guerre, voulut bien m'autoriser à suspendre mon
départ jusqu'à nouvel ordre. En effet, le 4 mai 1848, j'eus l'insigne honneur d'inaugurer
avec mes collègues, en présence de la population parisienne, l'ère parlementaire de notre

jeune République, et d'apporter à cette forme de gouvernement, qui avait été le rêve de
toute ma vie, la première sanction du suffrage universel.
Le coupable attentat du 15 mai, les funèbres journées de juin, vinrent nous attrister dès
les premiers travaux d'une assemblée, qui fut, quoi qu'on ait pu en dire, une des plus
dignes, et qu'on me passe le mot, une des plus honnêtes qui aient jamais honoré le régime
représentatif. Le 23 juin, pendant la séance, Lamartine quitta l'Assemblée, pour faire
enlever une redoutable barricade qu'on avait établie au-delà du canal Saint-Martin, dans
la rue du Faubourg-du-Temple. Il me permit de le suivre, et comme je n'aurais pas eu le
temps d'aller chercher mon cheval, ou de le faire venir, il m'offrit un des deux qui
l'attendaient à la porte du palais législatif. En compagnie du ministre des finances, et de
notre collègue Treveneuc, des Côtes-du-Nord, nous longeâmes les boulevards, où
quelques rares piquets de gardes nationaux étaient sous les armes. Au-delà de la porte
Saint-Martin, nous fûmes entourés d'une foule de citoyens appartenant à la classe
ouvrière, et dont la plupart, j'en ai la conviction, étaient le lendemain derrière les
barricades. L'accueil qu'ils nous firent, les poignées de main cordiales qu'ils nous
donnèrent, leurs propos vifs et patriotiques, m'ont douloureusement prouvé une fois de
plus que les meilleurs instincts peuvent être égarés, et que la guerre civile est le plus
horrible des fléaux.
Les projectiles des insurgés arrivaient jusque sur le boulevard. Lamartine tourna
résolument à gauche, et nous le suivîmes dans la rue du Faubourg-du-Temple, sous le feu
de la barricade et des maisons occupées par nos adversaires. Arrivés sur les quais, nous
vîmes un détachement de gardes mobiles et quelques compagnies d'infanterie repoussés
avec perte jusqu'à la rue Bichat. Ce fut là, près du pont, que le cheval que je montais fut
atteint d'une balle, à quelques pas de Lamartine, circonstance qui parut fixer
favorablement l'attention de ce grand et
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 45
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.