Tribulat Bonhomet | Page 7

Auguste
j'ose croire y avoir apportées; la postérité délivrera son verdict à ce sujet, si jamais je lui en fais part. Ce qu'il est important de constater, c'est que l'esprit d'analyse, de grossissement, d'examen minutieux est tellement l'essence de ma nature, que toute la joie de vivre est confinée pour moi dans la classification précise des plus chétifs ténébrions, dans la vue des enchevêtrements bizarres, pareils à une écriture très ancienne, que présentent les nerfs de l'insecte, dans le phénomène du raccourci des horizons, qui demeurent immenses selon les proportions de la rétine où ils se reflètent!... La réalité devient alors visionnaire--et je sens que, le microscope à la main, j'entre de plain-pied dans le domaine des Rêves!...
Mais je suis jaloux de mes découvertes et je me cache profondément de tout cela. Je hais les profanes, les squalides profanes, jusqu'à la mort. Lorsqu'on me questionne à ce sujet, JE FAIS LA BêTE. Je m'efforce de passer pour un chiragre! Et je concentre mes délices en songeant comme j'assombrirais les visages si je disais ce que mes instruments m'ont laissé entrevoir de surprenant et d'inexploré!... Laissons cela; j'en ai peut-être déjà trop dit...
Mes idées religieuses se bornent à cette absurde conviction que Dieu a créé l'Homme et réciproquement.
Nous sortons d'on ne sait quoi: la Raison n'est que douteuse. J'ajouterai, pour être franc, que la Mort m'étonne encore plus que sa triste Soeur; c'est, vraiment, la bouteille à l'encre!... En elle, tout doit résulter, nécessairement, d'un mode de logique inverse de celui dont nous nous satisfaisons, en grommelant, dans le ?decursus vit?? et qui n'est évidemment que provisoire et local.
Quant aux fant?mes, je suis peu superstitieux; je ne donne pas dans les insignifiantes balivernes des intersignes, à l'instar de tant d'hurluberlus, et je ne crois pas aux singeries frivoles des morts; entre nous, cependant, je n'aime pas les cimetières ni les lieux trop sombres--ni les gens qui exagèrent!... Je ne suis qu'un pauvre vieillard, mais si Pluton m'avait fait na?tre sur les marches d'un tr?ne, et s'il suffisait, à présent, d'un mot de moi pour que s'opérat le parfait carnage de tous les fanatiques, je le prononcerais, je le sens, ?en pelant un fruit?, comme dit le poète.
Néanmoins,--je suis forcé de l'avouer,--je suis sujet à un mal héréditaire qui bafoue, depuis longtemps, les efforts de ma raison et de ma volonté! Il consiste en une Appréhension, une ANXIéTé sans motif précis, une AFFRE, en un mot, qui me prend comme une crise, me fait savourer toute l'amertume d'une inquiétude brusque et infernale,--et cela, le plus souvent, à propos de futilités dérisoires!
N'est-ce pas de quoi grincer des dents, que de se sentir l'ame empoisonnée aussi mortellement que voilà? Cela me confond quand j'y songe.
étant un esprit cultivé, je me rends facilement le compte le plus clair de toutes choses: mais,--c'est singulier!--j'ai beau m'expliquer, par exemple, en acoustique,--et même, en physique, à l'aide de deux extrêmes soudains du froid et du chaud,--le bruit du vent,--eh bien! quand j'entends le Vent, j'ai peur. Aux mille tressaillements du Silence,--produits par les causes les plus simples,--je deviens livide.
Toutes et quantes fois que l'ombre d'un oiseau passe à mes pieds, je m'arrête, et, posant par terre ma valise, je m'essuie le front, voyageur hagard! Alors je reste oppressé sous le poids d'une inquiétude nerveuse,--pitoyable!--du ciel et de la terre, des vivants et des morts.--Et, malgré moi, je me surprends à vociférer:--Oh! oh! que peut signifier ce caravansérail d'apparitions, tenant leur sérieux pour dispara?tre incontinent?--L'univers est-il oiseux?... L'Univers dévorateur--cha?ne indéfinie où les pieds de l'un craquent entre les machoires de l'autre--est-il destiné lui-même à la voracité de quelque Eon? Quel sera son ver de terre? Réponds-moi, bruit du vent, oiseau qui passes!... et toi qui le sais, ? Silence!
Telles sont les lubies inconcevables, jaculatoires, poétiques et, par conséquent, grotesques, qui me hantent et qui troublent la lucidité de mes idées. C'est une simple maladie;--je suis un angoisseux. Je me suis traité par les douches, le quinquina, les purgatifs, les amers et l'hydrothérapie;--je vais mieux, beaucoup mieux!--Je commence à me rassurer et à reconna?tre que le Progrès n'est pas un rêve, qu'il pénètre le monde, l'illumine et, finalement, nous élève vers des sphères de choix, seules dignes des élans mieux disciplinés de nos intelligences. Cela ne fait plus question, aujourd'hui, pour les gens de go?t.
J'ai bien encore quelques accès!...
Dans le monde, je dissimule cette émotion par bon ton. S'il m'arrive, dans quelque rao?t, de deviser trop longtemps avec une dame, à un moment donné, elle ne sait pas,--non, heureusement, je le vois dans ses yeux!--elle ne sait pas qu'à l'instant même où je laisse fondre, en souriant, un bonbon innocent de ma joue droite à ma joue gauche, avec un bruit tendre et sirupeux et en traitant les autres de ?fanatiques?, elle ignore, dis-je, qu'à ce moment-là même,--un minuit ébranle en
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