Traduction nouvelle, Tome II | Page 3

Aristophanes
dire s'il y a quelque cité de laine épaisse, comme une couverture
moelleuse où l'on goûte le repos.
LA HUPPE.
Alors tu cherches une ville plus grande que celle des fils de Kranaos?
EVELPIDÈS.
Pas plus grande, mais qui nous convienne mieux.
LA HUPPE.
Il est clair que tu cherches un gouvernement aristocratique.
EVELPIDÈS.
Moi? Pas du tout: je déteste même le fils de Skellios.
LA HUPPE.
Quelle ville habiteriez-vous donc le plus volontiers?
EVELPIDÈS.
Celle où la plus grande affaire serait d'entendre à ma porte, dès le matin,
quelque ami me dire: «Au nom de Zeus Olympien, présente-toi chez
moi de bonne heure, toi et tes enfants, au sortir du bain: je dois donner
un repas de noces; n'y manque pas surtout; autrement, ne mets jamais
les pieds chez moi, quand je serai dans le malheur.»
LA HUPPE.
De par Zeus! tu as la passion des grandes infortunes! Et toi?
PISTHÉTÆROS.

J'ai une passion semblable, moi.
LA HUPPE.
Et laquelle?
PISTHÉTÆROS.
Celle d'une cité où, en me rencontrant, le père d'un joli garçon me dise
d'un ton de reproche, comme offensé par moi: «Vraiment, Stilbonidès,
en voilà une belle conduite! Tu rencontres mon fils revenant du bain et
du gymnase, et pas un baiser, pas une parole, pas une caresse, pas un
attouchement de toi, l'ami du père!»
LA HUPPE.
Mon pauvre homme, pour quelles tristes choses tu te passionnes! Eh
bien, il y a une ville heureuse, telle que vous le dites, sur les côtes de la
mer Erythræa.
EVELPIDÈS.
Malheur! Ne nous parle pas d'une ville maritime: un beau matin on y
verrait aborder la Salaminienne amenant un huissier. As-tu une ville
hellénique à nous proposer?
LA HUPPE.
Pourquoi n'iriez-vous pas habiter Lépréon, en Élis?
EVELPIDÈS.
Par les dieux! sans l'avoir vue, j'ai en horreur Lépréon, à cause de
Mélanthios.
LA HUPPE.
Il y a encore dans la Lokris la ville des Opontiens; vous pourriez y
habiter.

EVELPIDÈS.
Mais moi je ne voudrais pas être Opontien, pour un talent d'or. Et
quelle est la vie qu'on mène chez les oiseaux? Tu dois le savoir
parfaitement.
LA HUPPE.
Pas désagréable à vivre: premièrement il faut s'y passer de bourse.
EVELPIDÈS.
Vous avez ainsi retiré de la vie une grande source de fraudes.
LA HUPPE.
Notre nourriture, cueillie dans les jardins, est le sésame blanc, le myrte,
les pavots et la menthe.
EVELPIDÈS.
Mais alors vous êtes en quête d'une vie de nouveaux mariés.
PISTHÉTÆROS.
Hé! hé! J'entrevois un grand dessein pour la race des oiseaux: elle
deviendrait puissante, si vous m'obéissiez.
LA HUPPE.
Et comment t'obéirions-nous?
PISTHÉTÆROS.
Comment vous m'obéiriez? Tout d'abord ne voltigez pas n'importe où,
bec ouvert: c'est une habitude malséante. Chez nous quand il y a des
gens volages, on dit: «Quel est cet oiseau?» Et Téléas répond: «C'est un
homme sans équilibre, un oiseau qui vole, un être inconsidéré, qui ne
saurait jamais rester en place.»

LA HUPPE.
Par Dionysos! tes railleries portent juste. Que pourrions-nous donc
faire?
PISTHÉTÆROS.
Bâtissez une ville.
LA HUPPE.
Et quelle ville bâtirions-nous, nous autres oiseaux?
PISTHÉTÆROS.
Vrai? Oh! la sotte parole lâchée! Regarde en bas.
LA HUPPE.
Je regarde.
PISTHÉTÆROS.
Tourne le cou.
LA HUPPE.
De par Zeus! quelle jouissance, si je me déboîte la tête!
PISTHÉTÆROS.
As-tu vu quelque chose?
LA HUPPE.
Oui, les nuages et le ciel.
PISTHÉTÆROS.
Eh bien! n'est-ce pas le pôle des oiseaux?

LA HUPPE.
Le pôle? Comment cela?
PISTHÉTÆROS.
Comme qui dirait le lieu. Attendu que cela tourne et traverse tout, on
l'appelle pôle. Une fois bâti et fortifié par vous, on l'appellera police.
Alors vous régnerez sur les hommes, ainsi que sur les sauterelles; et les
dieux, vous les ferez mourir de faim comme les Mèliens.
LA HUPPE.
De quelle manière?
PISTHÉTÆROS.
L'air est entre le ciel et la terre; et de même que, quand nous voulons
aller à Delphoe, nous demandons passage aux Boeotiens, ainsi, quand
les hommes sacrifieront aux dieux, si les dieux ne nous paient pas tribut,
votre ville, étrangère pour eux, et l'espace empêcheront de monter la
fumée des cuisses.
LA HUPPE.
Iou! Iou! Par la Terre, les filets, les nuées, les rets, je n'ai jamais
entendu dessein mieux imaginé. Aussi suis-je tout prêt à bâtir la ville
avec toi, si le projet a l'approbation des autres oiseaux.
PISTHÉTÆROS.
Qui donc leur exposera l'affaire?
LA HUPPE.
Toi. Jadis ils étaient barbares; mais moi je leur ai enseigné le langage,
depuis mon long séjour avec eux.
PISTHÉTÆROS.

Comment les convoqueras-tu?
LA HUPPE.
Aisément. Je vais entrer tout de suite dans le taillis, éveiller ma chère
Aèdôn, et nous leur ferons appel. Dès qu'ils auront entendu notre voix,
ils voleront ici à tire-d'ailes.
PISTHÉTÆROS.
O toi, le plus aimable des oiseaux, ne tarde pas davantage. Je t'en prie,
entre au plus vite dans le taillis, et éveille Aèdôn.
LA HUPPE.
Allons, ma compagne, cesse
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