trêve ni merci.
Le jour même où Louis XVI était décapité, Robespierre prenait la parole pour faire l'éloge de son ami Lepeletier de Saint-Fargeau, qui venait de tomber sous le poignard d'un assassin. Lorsque, dans la même séance, Bazire proposa que la peine de mort f?t décrétée contre quiconque cacherait le meurtrier ou favoriserait sa fuite, il attaqua avec force cette motion comme contraire aux principes. ?Quoi! s'écria-t-il, au moment où vous allez effacer de votre code pénal la peine de mort, vous la décréteriez pour un cas particulier! Les principes d'éternelle justice s'y opposent.? Et, sur sa proposition, l'Assemblée passa à l'ordre du jour.
Déjà, du temps de la Constituante, il avait éloquemment, mais en vain, réclamé l'abolition de la peine de mort. Que ne f?t-il écouté alors! Peut-être, comme il le dit lui-même un jour, l'histoire n'aurait-elle pas eu à enregistrer les actes sanglants qui jettent une teinte si sombre sur la Révolution. Mais on approchait de l'heure des sévérités implacables.
La Convention, croyant reconna?tre la main de l'étranger et celle des éternels adversaires de la Révolution dans les agitations qui marquèrent le mois de mars 1793, commen?a à prendre des mesures terribles contre les ennemis du dedans et du dehors. Le 10 mars, sur la proposition de Danton, elle adopta un projet de tribunal révolutionnaire, projet rédigé par le girondin Isnard, décrétant virtuellement ainsi le régime de la Terreur.
Dans les discussions auxquelles donna lieu l'organisation de ce tribunal, Robespierre se borna à demander qu'il f?t chargé de réprimer les écrits soudoyés tendant à pousser à l'assassinat des défenseurs de la liberté, et surtout que l'on défin?t bien ce que l'on entendait par conspirateurs. ?Autrement, dit-il, les meilleurs citoyens risqueraient d'être victimes d'un tribunal institué pour les protéger contre les entreprises des contre-révolutionnaires.?
Nommé membre du comité de Défense nationale, dit Commission de Salut public, dont faisaient également partie Isnard, Vergniaud, Guadet et quelques autres Girondins, il donna presque aussit?t sa démission, ne voulant pas s'y trouver, dit-il, avec Brissot, qu'il regardait comme un complice de Dumouriez. Il refusa également d'entrer dans le grand comité de Salut public qui succéda à celui de défense nationale.
Les débats sur la Constitution firent à peine trêve aux querelles intestines qui divisaient la Convention. C'est au moment où les Girondins ressassaient contre Robespierre et Danton leur éternelle accusation de dictature que le premier, après avoir exposé, aux applaudissements de l'Assemblée, son mémorable projet de Déclaration des droits de l'homme, pronon?ait ces paroles, toujours dignes d'être méditées: ?Fuyez la manière ancienne des gouvernements de vouloir trop gouverner; laissez aux individus, laissez aux familles le droit de faire ce qui ne nuit point à autrui; laissez aux communes le droit de régler elles-mêmes leurs propres affaires en tout ce qui ne tient point essentiellement à l'administration générale de la République; rendez à la liberté individuelle tout ce qui n'appartient pas naturellement à l'autorité publique, et vous aurez laissé d'autant moins de prise à l'ambition et à l'arbitraire.? Sages paroles, dont il serait bien temps de s'inspirer.
Mais, à chaque instant, de nouvelles explosions interrompaient ces pacifiques discussions. Lorsque les Girondins avaient proposé la mise en accusation de Marat pour ses écrits violents, Danton s'était écrié: ?N'entamez pas la Convention?, et Robespierre avait également essayé de s'opposer à l'adoption d'un décret qui devait être suivi, hélas! de bien d'autres décrets analogues. Les Girondins ne firent que ménager à l'Ami du peuple un triomphe éclatant.
On sait comment ils finirent par sombrer dans les journées du 31 mai et du 2 juin, sous l'irrésistible impulsion du peuple de Paris, qu'ils avaient exaspéré. Depuis huit mois qu'ils étaient en possession du pouvoir, ils n'avaient su que troubler le pays et l'Assemblée par leurs haines implacables et leurs rancunes immortelles. ?Encore quelques mois d'un pareil gouvernement, a écrit leur chantre inspiré, et la France, à demi conquise par l'étranger, reconquise par la contre-révolution, dévorée par l'anarchie, déchirée de ses propres mains, aurait cessé d'exister et comme république et comme nation. Tout périssait entre les mains de ces hommes de paroles. Il fallait ou se résigner à périr avec eux ou fortifier le gouvernement[5].
[Note 5: Les Girondins, par M. de Lamartine. T. VI, p. 155.]
Les journées des 31 mai et 2 juin, que trois mois après le 9 thermidor, Robert Lindet qualifiait encore de ?grandes, heureuses, utiles et nécessaires?, ne co?tèrent pas une goutte de sang au pays, et vraisemblablement les Girondins n'auraient pas été immolés, s'ils n'avaient point commis le crime de soulever une partie de la France contre la Convention.
V
?La liberté ne sera point terrible envers ceux qu'elle a désarmés, s'était écrié Saint-Just, dans la séance du 8 juillet 1793, en terminant son rapport sur les Girondins décrétés d'accusation à la suite du 31 mai. Proscrivez ceux qui ont fui pour prendre les armes ... non pour ce qu'ils ont dit, mais pour
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