sur les grands lutteurs de la Révolution? N'avons-nous pas vu fusiller de nos jours, après le combat, froidement, indistinctement, au hasard, des milliers et des milliers de malheureux? Un peu plus de réserve conviendrait donc, surtout de la part de gens chez qui ces immolations impitoyables n'ont pas soulevé beaucoup d'indignation.
Ah! combien M. Guizot appréciait plus sainement les choses, quand il écrivait à propos de la Révolution d'Angleterre et de la n?tre: ?Qu'on cesse donc de les peindre comme des apparitions monstrueuses dans l'histoire de l'Europe; qu'on ne nous parle plus de leurs prétentions inou?es, de leurs infernales inventions, elles ont poussé la civilisation dans la route qu'elle suit depuis quatorze siècles....
?Je ne pense pas qu'on s'obstine longtemps à les condamner absolument parce qu'elles sont chargées d'erreurs, de malheurs et de crimes: il faut en ceci tout accorder à leurs adversaires, les surpasser même en sévérité, ne regarder à leurs accusations que pour y ajouter, s'ils en oublient, et puis les sommer de dresser à leur tour le compte des erreurs, des crimes et des maux de ces temps et de ces pouvoirs qu'ils ont pris sous leur garde. Je doute qu'ils acceptent le marché.?
Il ne s'agit donc pas d'écheniller la Révolution. Il faut, dans une certaine mesure, la prendre en bloc, comme on l'a dit si justement. Mais cela n'empêche de rendre à chacun des acteurs du drame immense la justice qui lui est due, et surtout de réduire à leur juste valeur les anathèmes, faits de mensonges et de calomnies, dont on s'est efforcé d'accabler la mémoire de quelques-uns des plus méritants. C'est ce que j'ai fait pour ma part, avec la sérénité d'un homme qui n'a jamais demandé ses inspirations qu'à sa conscience. Les fanatiques de la légende ont hurlé, mais tous les amis de la vérité m'ont tendu la main. ?Vous êtes le laborieux reconstructeur du vrai, m'écrivait Victor Hugo en 1865. Cette passion de la vérité est la première qualité de l'historien.? Elle n'a fait que grandir en moi devant la persistance de l'erreur et de la calomnie.
Dans les polémiques soulevées par la pièce de Thermidor, et auxquelles je ne me suis point mêlé, j'ai été plusieurs fois pris à partie. Celui-ci, qui n'a jamais lu mes livres, s'imagine que je ne jure que par Saint-Just et par Robespierre; celui-là insinue que je n'ai dégagé la responsabilité de ce dernier qu'en la rejetant sur Pierre, Jacques et Paul. Ce brave homme ne s'aper?oit pas qu'il a fait, dans un sens contraire, ce qu'il me reproche si légèrement.
Je demande, moi, que les responsabilités, si responsabilités il y a, soient partagées. Je ne réclame pour Robespierre que la justice, mais toute la justice, comme pour les autres. Que fait-il, lui? Il ramasse tous les excès, toutes les erreurs, toutes les sévérités de la Révolution, et il les rejette bravement sur Robespierre, sans avoir l'air de se douter du colossal et impuissant effort de ce dernier pour réprimer tous ces excès, ?arrêter le cours terrible de la Révolution? et substituer la justice à la terreur.
Voilà bien la méthode de M. Sardou. Il prétend conna?tre la Révolution. Oui, il la conna?t, à l'envers, par le rapport de Courtois et les plus impurs libelles que la calomnie ait jamais enfantés. C'est ainsi que Robespierre lui appara?t comme un tyran, comme un dictateur, comme un Cromwell. Un exemple nous permettra de préciser.
M. Sardou met à la charge de Robespierre toutes les horreurs de la Révolution; en revanche, il en exonère complètement celui-ci ou celui-là, Carnot par exemple. Cependant M. Sardou, qui conna?t si bien son histoire de la Révolution, même par les libelles où il a puisé ses inspirations, ne doit pas ignorer que du 29 prairial au 8 thermidor, c'est-à-dire dans les quarante jours où la Terreur a atteint son maximum d'intensité, Robespierre est resté à peu près étranger à l'action du gouvernement, qu'il n'est pour rien, en conséquence, dans les actes de rigueur qui ont signalé cette période de six semaines, et qu'il s'est volontairement dessaisi de sa part de dictature, alors que tel autre, absous par lui, est resté jusqu'au bout inébranlable et immuable dans la Terreur.
Est-ce Robespierre, oui ou non, qui, en dehors de l'action gouvernementale, s'est usé à faire une guerre acharnée à certains représentants en mission, comme Fouché et Carrier, et à leur demander compte ?du sang versé par le crime??
Est-ce Robespierre, oui ou non, qui s'est efforcé d'empêcher qu'on n'érigeat en crime ou des préjugés incurables ou des choses indifférentes?
Est-ce Robespierre, oui ou non, qui s'est plaint si amèrement que l'on persécutat les nobles uniquement parce qu'ils étaient nobles, et les prêtres uniquement parce qu'ils étaient prêtres?
Est-ce Robespierre, oui ou non, qui demandait que l'on substituat la Justice à la Terreur?
Est-ce enfin Robespierre qui est mort dans la journée du 10 thermidor, pour avoir
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