trouvé une manière de vivre assez satisfaisante, bien qu'à parler exactement, il n'y ait ni bonne ni mauvaise vie. Rien n'est en soi honnête ni honteux, juste ni injuste, agréable ni pénible, bon ni mauvais. C'est l'opinion qui donne les qualités aux choses comme le sel donne la saveur aux mets.
--Ainsi donc, selon toi, il n'y a pas de certitude. Tu nies la vérité que les idolatres eux-mêmes ont cherchée. Tu te couches dans ton ignorance, comme un chien fatigué qui dort dans la boue.
--étranger, il est également vain d'injurier les chiens et les philosophes. Nous ignorons ce que sont les chiens et ce que nous sommes. Nous ne savons rien.
--O vieillard, appartiens-tu donc à la secte ridicule des sceptiques? Es-tu donc de ces misérables fous qui nient également le mouvement et le repos et qui ne savent point distinguer la lumière du soleil d'avec les ombres de la nuit?
--Mon ami, je suis sceptique en effet, et d'une secte qui me para?t louable, tandis que tu la juges ridicule. Car les mêmes choses ont diverses apparences. Les pyramides de Memphis semblent, au lever de l'aurore, des c?nes de lumière rose. Elles apparaissent, au coucher du soleil, sur le ciel embrasé comme de noirs triangles. Mais qui pénétrera leur intime substance? Tu me reproches de nier les apparences, quand au contraire les apparences sont les seules réalités que je reconnaisse. Le soleil me semble lumineux, mais sa nature m'est inconnue. Je sens que le feu br?le, mais je ne sais ni comment ni pourquoi. Mon ami, tu m'entends bien mal. Au reste, il est indifférent d'être entendu d'une manière ou d'une autre.
--Encore une fois, pourquoi vis-tu de dattes et d'oignons dans le désert? Pourquoi endures-tu de grands maux? J'en supporte d'aussi grands et je pratique comme toi l'abstinence dans la solitude. Mais c'est afin de plaire à Dieu et de mériter la béatitude sempiternelle. Et c'est là une fin raisonnable, car il est sage de souffrir, en vue d'un grand bien. Il est insensé au contraire de s'exposer volontairement à d'inutiles fatigues et à de vaines souffrances. Si je ne croyais pas,--pardonne ce blasphème, ? Lumière incréée!--si je ne croyais pas à la, vérité de ce que Dieu nous a enseigné par la voix des prophètes, par l'exemple de son fils, par les actes des ap?tres, par l'autorité des conciles et par le témoignage des martyrs, si je ne savais pas que les souffrances du corps sont nécessaires à la santé de l'ame, si j'étais, comme toi, plongé dans l'ignorance des sacrés mystères, je retournerais tout de suite dans le siècle, je m'efforcerais d'acquérir des richesses pour vivre dans la mollesse comme les heureux de ce monde, et je dirais aux voluptés: ?Venez, mes filles, venez, mes servantes, venez toutes me verser vos vins, vos philtres et vos parfums.? Mais toi, vieillard insensé, tu te prives de tous les avantages; tu perds sans attendre aucun gain: tu donnes sans espoir de retour et tu imites ridiculement les travaux admirables de nos anachorètes, comme un singe effronté pense, en barbouillant un mur, copier le tableau d'un peintre ingénieux. O le plus stupide des hommes, quelles sont donc tes raisons?
Paphnuce parlait ainsi avec une grande violence. Mais le vieillard demeurait paisible.
--Mon ami, répondit-il doucement, que t'importent les raisons d'un chien endormi dans la fange et d'un singe malfaisant?
Paphnuce n'avait jamais en vue que la gloire de Dieu. Sa colère étant tombée, il s'excusa avec une noble humilité.
--Pardonne-moi, dit-il, ? vieillard, ? mon frère, si le zèle de la vérité m'a emporté au delà des justes bornes. Dieu m'est témoin que c'est ton erreur et non ta personne que je ha?ssais. Je souffre de te voir dans les ténèbres, car je t'aime en Jésus-Christ et le soin de ton salut occupe mon coeur. Parle, donne-moi tes raisons: je br?le de les conna?tre afin de les réfuter.
Le vieillard répondit avec quiétude:
--Je suis également disposé à parler et à me taire. Je te donnerai donc mes raisons, sans te demander les tiennes en échange, car tu ne m'intéresses en aucune manière. Je n'ai souci ni de ton bonheur ni de ton infortune et il m'est indifférent que tu penses d'une fa?on ou d'une autre. Et comment t'aimerais-je ou te ha?rais-je? L'aversion et la sympathie sont également indignes du sage. Mais, puisque tu m'interroges, sache donc que je me nomme Timoclès et que je suis né à Cos de parents enrichis dans le négoce. Mon père armait des navires. Son intelligence ressemblait beaucoup à celle d'Alexandre, qu'on a surnommé le Grand. Pourtant elle était moins épaisse. Bref, c'était une pauvre nature d'homme. J'avais deux frères qui suivaient comme lui la profession d'armateurs. Moi, je professais la sagesse. Or, mon frère a?né fut contraint par notre père d'épouser une femme carienne nommée Timaessa, qui lui déplaisait si fort
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