respectable parmi
d'autres bouquins de dévotion épars sur le prie-Dieu. Elle paraissait fort
recueillie; mais Léonce s'aperçut bientôt qu'elle tenait toujours
_Wilhelm-Meister_ sous son châle, qu'elle le glissait peu à peu sur le
missel ouvert devant elle, et enfin qu'elle le lisait avidement pendant le
confiteor.
Lui, s'agenouilla près d'elle à l'élévation, et lui dit bien bas:--Je gage
que ce pasteur naïf et ces bonnes gens qui vous regardent sont édifiés
de votre piété, Sabina! Mais moi, je me dis que vous respectez les
apparences d'une religion à laquelle vous ne croyez plus.
Elle ne lui répondit qu'en lui montrant du doigt le mot _pédant_ qui se
retrouve en plusieurs endroits de _Wilhelm-Meister_, à propos d'un des
personnages de la troupe vagabonde.
--Vous savez bien que je ne suis pas dévote, lui dit-elle après la messe,
en parcourant avec lui la nef bordée de petites chapelles; j'ai la religion
de mon temps.
--C'est-à-dire que vous n'en avez pas?
--Je crois qu'au contraire aucune époque n'a été plus religieuse, en ce
sens que les esprits élevés luttent contre le passé, et aspirent vers
l'avenir. Mais le présent ne peut s'abriter sous aucun temple. Pourquoi
m'avez-vous fait entrer dans celui-ci?
--N'allez-vous pas à la messe le dimanche?
--C'est une affaire de convenance, et pour ne pas jouer le rôle d'esprit
fort. Le dimanche est d'obligation religieuse, par conséquent d'usage
mondain.
--Hélas! vous êtes hypocrite.
--De religion? Non pas. Je ne cache à personne que j'obéis à une
coutume.
--Vous vous êtes fait un dieu de ce monde profane, et vous le trouvez
plus facile à servir.
--Léonce, seriez-vous dévot? dit-elle en le regardant.
--Je suis artiste, répondit-il; je sens partout la présence de Dieu, même
devant ces grossières images du moyen âge, qui font ressembler le lieu
où nous sommes à quelque pagode barbare.
--Vous êtes plus impie que moi: ces fétiches affreux, ces _ex-voto_
cyniques me font peur.
--Je vois, le passé est votre effroi; il vous gâte le présent. Que ne
comprenez-vous l'avenir? Vous seriez dans l'idéal.
--Tenez, artiste, regardez! lui dit Sabina en attirant son attention sur une
figure agenouillée sur le pavé, dans la profondeur sombre d'une
chapelle funéraire.
C'était une jeune fille, presque un enfant, pauvrement vêtue, quoique
avec propreté. Elle n'était pas jolie, mais sa figure avait une expression
saisissante, et son attitude une noblesse singulière. Un rayon de soleil,
égaré dans cette cave humide où elle priait, tombait sur sa nuque rosée
et sur une magnifique tresse de cheveux d'un blond pâle, presque
blanchâtre, roulée et serrée autour d'un petit béguin de velours rouge
brodé d'or fané, et garni de dentelle noire, à la mode du pays. Elle était
haute en couleur, malgré le ton fade de sa chevelure. Le bleu tranché de
ses yeux paraissait plus brillant sous ses longs cils d'or mat tirant sur
l'argent. Son profil trop court avait des courbes d'une finesse et d'une
énergie extraordinaires.
--Allons, Léonce, ne vous oubliez pas trop à la regarder, dit Sabina à
son compagnon, qui était comme pétrifié devant la villageoise, c'est de
moi seule qu'il faut être occupé aujourd'hui; si vous avez une
distraction, je suis perdue, je m'ennuie.
--Je ne pense qu'à vous en la regardant. Regardez-la aussi. Il faut que
vous compreniez cela.
--Cela? c'est la foi aveugle et stupide, c'est le passé qui vit encore, c'est
le peuple. C'est curieux pour l'artiste, mais moi je suis poëte, et il me
faut plus que l'étrange, il me faut le beau... Cette petite est laide.
--C'est que vous n'y comprenez rien. Elle est belle selon le type rare
auquel elle appartient.
--Type d'Albinos.
--Non! c'est la couleur de Rubens, avec l'expression austère des vierges
du Bas-Empire. Et l'attitude?
--Est raide comme le dessin des maîtres primitifs. Vous aimez cela?
--Cela a sa grâce, parce que c'est naïf et imprévu. La Madeleine de
Canova pose, les vierges de la Renaissance savent qu'elles sont belles;
les modèles primitifs sont tout d'un jet, tout d'une pièce, on pourrait
dire tout d'une venue, comme la pensée qui les fit éclore.
--Et qui les pétrifia... Tenez, elle a fini sa prière; parlez-lui, vous verrez
qu'elle est bête malgré l'expression de ses traits.
--Mon enfant, dit Léonce à la jeune fille, vous paraissez très-pieuse. Y
a-t-il quelque dévotion particulière attachée à cette chapelle?
--Non, Monseigneur, répondit la jeune fille en faisant la révérence;
mais je me cache ici pour prier, afin que M. le curé ne me voie point.
--Et que craignez-vous des regards de M. le curé? demanda lady G...
--Je crains qu'il ne me chasse, reprit la montagnarde; il ne veut plus que
je rentre dans l'église, sous prétexte que je suis en état de péché mortel.
Elle fit cette réponse avec tant d'aplomb et d'un air à la fois si ingénu et
si décidé, que Sabina ne
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