Teverino | Page 7

George Sand
la noire dans la voiture entre vous deux. Sa présence mettra en fuite le démon de la médisance.
--Ce n'est guère l'usage, dit le jeune homme embarrassé de la judiciaire du vieux prêtre. Cela semblerait affecté. Le danger est donc bien grand, penseraient les méchants, puisqu'ils sont forcés de mettre entre eux une vilaine négresse? Au lieu que la présence d'un prêtre sanctifie tout. Un digne pasteur comme vous est l'ami naturel de tous les fidèles, et chacun doit comprendre que l'on recherche sa société.
--Vous êtes fort aimable, mon cher Monsieur, et je ne demanderais qu'à vous obliger, répondit le curé, flatté et séduit peu à peu; mais je n'ai pas encore dit ma messe, et voici le premier coup qui sonne. Donnez-moi vingt minutes... ou plut?t venez entendre la messe. Ce n'est pas obligatoire dans la semaine, mais cela ne peut jamais faire de mal; après cela vous me permettrez de déjeuner, et nous irons ensuite faire un tour de promenade ensemble si vous le désirez.
--Nous entendrons la messe, répondit Léonce; mais aussit?t après, nous vous emmènerons déjeuner avec nous dans la campagne.
--Vous y déjeunerez fort mal, observa vivement le curé, à qui cette idée parut plus sérieuse que tout ce qui avait précédé. On ne trouve rien qui vaille dans ce pays aussi pauvre que pittoresque.
--Nous avons d'excellent vin et des vivres assez recherchés dans la caisse de la voiture, reprit Léonce. Nous avions donné rendez-vous à plusieurs personnes pour aller manger sur l'herbe, et chacun de nous devait porter une part du festin. Mais comme toutes ont manqué de parole, excepté moi, il se trouve que je suis assez bien pourvu pour le petit nombre de convives que nous sommes.
--A la bonne heure, dit le curé, tout à fait décidé. Je vois que vous aviez une jolie partie en train, et que sans moi elle serait troublée par l'embarras de ce dangereux tête-à-tête. Je ne veux pas vous la faire manquer, j'irai avec vous, pourvu que ce ne soit pas trop loin; car je ne manque pas d'affaires ici. Il pla?t à l'un de na?tre, à l'autre de mourir, et c'est tous les jours à recommencer. Allons, avertissez votre dame; je cours à mon église.
--Eh bien, donc, dit Sabina, qui, en attendant le retour de Léonce, avait pris un livre dans la poche de la voiture et feuilletait _Wilhelm-Meister_; j'ai cru que vous m'aviez oubliée, et je m'en consolais avec cet adorable conte.
--Je l'avais apporté pour vous, dit Léonce; je savais que vous ne le connaissiez pas encore, et que c'était la lecture qu'il vous fallait pour le moment.
--Vous avez des attentions charmantes. Mais que faisons-nous?
--Nous allons à la messe.
--L'étrange idée! Est-ce en me faisant faire mon salut que vous comptez me divertir?
--Il vous est interdit de scruter mes pensées et de deviner mes intentions. Du moment où je ne porterais plus votre inconnu dans mon cerveau, vous ne me laisseriez rien achever de ce que j'aurais entrepris.
--C'est vrai. Allons donc à la messe; mais que vouliez-vous faire de ce curé?
--Eh quoi, toujours des questions, quand vous savez que l'oracle doit être muet?
--Vos bizarreries commencent à m'intéresser. Est-ce qu'il ne m'est pas même permis de chercher à comprendre?
--Parfaitement, je ne risque point d'être deviné.
Le wurst traversa le hameau et s'arrêta devant l'église rustique. Elle était ordinairement presque déserte aux messes de la semaine, mais elle se remplit de femmes et d'enfants curieux dès que les deux nobles voyageurs y furent entrés. Cependant le plus grand nombre retourna bient?t sous le porche pour admirer les chevaux, toucher la voiture, et surtout contempler la négresse, qui leur causait un étonnement mêlé d'ironie et d'effroi.
Le sacristain vint placer Sabina et Léonce dans le banc d'honneur. L'air des montagnes est si vif, que le curé avait déjà faim et ne tra?nait pas sa messe en longueur.
Lady G... avait pris du bout des doigts un missel respectable parmi d'autres bouquins de dévotion épars sur le prie-Dieu. Elle paraissait fort recueillie; mais Léonce s'aper?ut bient?t qu'elle tenait toujours _Wilhelm-Meister_ sous son chale, qu'elle le glissait peu à peu sur le missel ouvert devant elle, et enfin qu'elle le lisait avidement pendant le confiteor.
Lui, s'agenouilla près d'elle à l'élévation, et lui dit bien bas:--Je gage que ce pasteur na?f et ces bonnes gens qui vous regardent sont édifiés de votre piété, Sabina! Mais moi, je me dis que vous respectez les apparences d'une religion à laquelle vous ne croyez plus.
Elle ne lui répondit qu'en lui montrant du doigt le mot _pédant_ qui se retrouve en plusieurs endroits de _Wilhelm-Meister_, à propos d'un des personnages de la troupe vagabonde.
--Vous savez bien que je ne suis pas dévote, lui dit-elle après la messe, en parcourant avec lui la nef bordée de petites chapelles; j'ai la religion de mon temps.
--C'est-à-dire que vous n'en avez pas?
--Je crois qu'au contraire
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