de cet argent dont elle se montrera si prodigue.
Pendant qu'il écrit ces fiévreux billets le soir, sous la tente, parmi l'éparpillement des cartes et des rapports, lorsque dorment ses soldats harassés, Joséphine, oublieuse des promesses récentes, se laisse aller à l'ardeur de son tempérament. Bonaparte en re?oit la nouvelle en égypte. De suite il songe au divorce. Ce qu'il y a de brutal et d'orgueilleux dans son caractère lui présente ce moyen prompt de sauver son honneur.
Mais bient?t il fait un lent et puissant effort sur lui-même, s'appliquant à discuter, à peser la gravité et les conséquences de la rupture.
Il commande un corps d'expédition. Il a décidé d'atteindre le pouvoir à son retour en France. Des ennemis l'entourent. Ira-t-il prêter le flanc aux railleries en faisant conna?tre à tous ce qui n'est su que de quelques-uns? Ainsi les années passent. Il grandit dans sa puissance. En Italie, il est trop tard déjà pour exiger cette réparation. La blessure est plus ancienne aussi. Il la pourra supporter. Les efforts faits pour reconquérir Joséphine sont restés vains. Il e?t fallu qu'il demeurat près d'elle à la distraire, à la choyer. Mais son destin l'appelait aux armées.
La certitude de toute maternité impossible chez l'Impératrice, seule, le détermina à la rupture. Encore ne put-il l'accepter définitive. Il sentit le besoin de la savoir proche de lui et heureuse par ses soins.
Perpétuel combat entre l'amour et la destinée, voilà toute la vie de Napoléon avec Joséphine.
Maintenant que nous connaissons les idées de l'Empereur sur l'amour et le mariage, on peut demeurer surpris de voir sa conduite.
Quand on songe qu'il avoua ses ma?tresses à Joséphine, lui présenta Mme Walewska, et que l'ayant répudiée il ne voulut cesser de la voir, quelle extraordinaire complexité de caractère ne découvre-t-on pas en lui!
Deux causes expliquent cette conduite; l'éducation littéraire de Bonaparte et le r?le d'initiatrice de Joséphine.
Napoléon dans sa rudesse garde un fond de rêverie qui combat sans cesse son positivisme natif. Cela il le doit à sa jeunesse isolée, malheureuse même, dépourvue de caresses et de cet argent avec lequel s'achètent les illusions de celles-ci. Il a vu des femmes, sans doute, mais leurs rangs si supérieurs au sien l'ont forcé à n'être que tendre et ?troubadour? auprès d'elles. Ce furent les idylles de Valence. De celles qui se donnent, il conna?t seulement les filles vénales comme celle interrogée un soir de fièvre sous les galeries du Palais-Royal.
La lecture de Rousseau l'exalta. Il a rêvé une Mme de Warens. Il croit la découvrir dans cette créole s'offrant à lui, prestigieuse, entourée du souvenirs de son Orient natal. Il l'aime d'autant plus qu'il n'osait espérer lui plaire.
De son c?té, Joséphine trouva de l'agrément à séduire ce jeune homme qu'elle savait chaste. Pour cette voluptueuse c'était une conquête bien tentante. Ce que furent leur fièvre, nous le devinons. Dans leur hate de possession, ils ne surent attendre leur mariage.
Tout ce qu'une femme dont l'amour est la seule pensée peut mettre de science, de raffinement, de recherche dans l'étreinte, il est certain que Joséphine le révéla à Bonaparte étonné et ravi. Pour elle il fut un jouet. Elle le trouva même ?dr?le? et par ce plaisir qu'elle donnait contre toute attente elle le posséda. De lui avoir fait conna?tre un amour qu'il imaginait seulement dans les romans, Bonaparte lui en fut toute sa vie reconnaissant. Ce conquérant l'aime parce qu'elle l'a vaincu, qu'elle l'a su tenir, lassé, près d'elle et cependant heureux.
Aussi il aura pour elle des empressements de petit-ma?tre, de délicates attentions, des pardons même. Elle peut tout faire: le tromper, se vendre et s'endetter. Qu'importe! Il sait qu'il trouvera en elle un superbe instrument de plaisir plus vibrant et plus riche que tous les autres.
Aux heures de réflexion, dans les nuits aux camps, sa pensée s'applique à comprendre Joséphine. Il évoque les amants à qui elle se donne avec la même fougue qu'à lui-même. Si, dans son instinct de male, il est jaloux, sa fierté d'homme ne se révolte pas. Il sait qu'il n'a qu'à repara?tre pour les lui faire oublier tous. Sa gloire, sa richesse lui ajoutent un prestige dont il conna?t la force. ?Ce qu'on aime en nous c'est notre bonheur?, pense-t-il. Il se dit aussi qu'une femme dont les sens sont si prompts ne pourra jamais commander à l'esprit d'un homme. Pas plus qu'elle ne se souvient de lui absent, il ne redoute de subir son action quand il l'a quittée. Cela le séduit d'avoir une femme ne songeant qu'à le distraire sans penser à le commander. Enfin c'est surtout parce qu'elle fut l'initiatrice qu'il ne l'oublie jamais. Elle peut vieillir et avec l'age voir s'éteindre la possibilité des étreintes. Qu'importe! Elle l'a fait vibrer avant toutes les autres. S'il n'hésite pas même à lui avouer ses infortunes galantes, c'est qu'il est certain de trouver sur
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