farcit la t��te d'une foule d'expressions alpestres, ?chemin��es, couloirs, moulins, n��v��s, s��racs, moraine, rotures?, sans savoir bien pr��cis��ment ce qu'elles signifiaient.
La nuit, ses r��ves s'effray��rent de glissades interminables, de brusques chutes dans des crevasses sans fond. Les avalanches le roulaient, des ar��tes de glace embrochaient son corps au passage; et longtemps apr��s le r��veil et le chocolat du matin qu'il avait l'habitude de prendre au lit, il gardait l'angoisse et l'oppression de son cauchemar; mais cela ne l'emp��chait pas, une fois debout, de consacrer sa matin��e �� de laborieux exercices d'entra?nement.
Il y a tout autour de Tarascon un cours plant�� d'arbres qui, dans le dictionnaire local, s'appelle ?le Tour de ville?. Chaque dimanche, l'apr��s-midi, les Tarasconnais, gens de routine malgr�� leur imagination, font leur tour de ville, et toujours dans le m��me sens. Tartarin s'exer?a �� le faire huit fois, dix fois dans la matin��e, et souvent m��me �� rebours. Il allait, les mains derri��re le dos, petits pas de montagne, lents et s?rs, et les boutiquiers, effar��s de cette infraction aux habitudes locales, se perdaient en suppositions de toutes sortes.
Chez lui, dans son jardinet exotique, il s'accoutumait �� franchir les crevasses en sautant par-dessus le bassin o�� quelques cyprins nageaient parmi des lentilles d'eau; �� deux reprises il tomba et fut oblig�� de se changer. Ces d��convenues l'excitaient et, sujet au vertige, il longeait l'��troite ma?onnerie du bord, au grand effroi de la vieille servante qui ne comprenait rien �� toutes ces manigances.
En m��me temps, il commandait en Avignon, chez un bon serrurier, des crampons syst��me Whymper pour sa chaussure, un piolet syst��me Kennedy; il se procurait aussi une lampe �� chalumeau, deux couvertures imperm��ables et deux cents pieds d'une corde de son invention, tress��e avec du fil de fer.
L'arrivage de ces diff��rents objets, les all��es et venus myst��rieuses que leur fabrication n��cessita, intrigu��rent beaucoup les Tarasconnais; on disait en ville: ?le pr��sident pr��pare un coup. Mais, quoi? Quelque chose de grand, bien s?r, car selon la belle parole du brave et sentencieux commandant Bravida, ancien capitaine d'habillement, lequel ne parlait que par apophtegmes: ?L'aigle ne chasse pas les mouches.
Avec ses plus intimes, Tartarin demeurait imp��n��trable; seulement, aux s��ances du Club, on remarquait le fr��missement de sa voix et ses regards z��br��s d'��clairs lorsqu'il adressait la parole �� Costecalde, cause indirecte de cette nouvelle exp��dition dont s'accentuaient, mesure qu'elle se faisait plus proche, les dangers et les fatigues. L'infortun�� ne se les dissimulait pas et m��me les consid��rait tellement en noir, qu'il crut indispensable de mettre ordre �� ses affaires, d'��crire ces volont��s supr��mes dont l'expression co?te tant aux Tarasconnais, ��pris de vie, qu'ils meurent presque tous intestat.
Oh! par un matin de juin rayonnant, un ciel sans nuage, arqu��, splendide, la porte de son cabinet ouverte sur le petit jardin propret, sabl��, o�� les plantes exotiques d��coupaient leurs ombres lilas immobiles, o�� le jet d'eau tintait sa note claire parmi les cris joyeux des petits Savoyards jouant �� la marelle devant la porte, voyez-vous Tartarin en babouches, larges v��tements de flanelle, l'aise, heureux, une bonne pipe, lisant tout haut �� mesure qu'il ��crivait:
?Ceci est mon testament.
Allez, on a beau avoir le coeur bien en place, solidement agraf��, ce sont l�� de cruelles minutes. Pourtant, ni sa main ni sa voix ne trembl��rent, pendant qu'il distribuait �� ses concitoyens toutes les richesses ethnographiques entass��es dans sa petite maison, soigneusement ��pousset��es et conserv��es avec un ordre admirable;
?Au Club des Alpines, le baobab (arbor gigantea), pour figurer sur la chemin��e de la salle des s��ances;
?A Bravida, ses carabines, revolvers, couteaux de chasse, kriss malais, tomahawks et autres pi��ces meurtri��res;
?A Excourbani��s, toutes ses pipes, calumets, narghil��s, pipettes fumer le kif et l'opium;
A Costecalde,--oui, Costecalde lui-m��me avait son legs!--les fameuses fl��ches empoisonn��es (N'y touchez pas)
Peut-��tre y avait-il sous ce don le secret espoir que le tra?tre se blesse et qu'il en meure; mais rien de pareil n'��manait du testament, ferm�� sur ces paroles d'une divine mansu��tude:
?Je prie mes chers alpinistes de ne pas oublier leur pr��sident... je veux qu'ils pardonnent �� mon ennemi comme je lui pardonne, et pourtant c'est bien lui qui a caus�� ma mort...
Ici, Tartarin fut oblig�� de s'arr��ter, aveugl�� d'un grand flot de larmes. Pendant une minute, il se vit fracass��, en lambeaux, au pied d'une haute montagne, ramass�� dans une brouette et ses restes informes rapport��s �� Tarascon. O puissance de l'imagination proven?ale! il assistait �� ses propres fun��railles, entendait les chants noirs, les discours sur sa tombe: ?Pauvre Tartarin, _p��ch��re!_...? Et, perdu dans la foule de ses amis, il se pleurait lui-m��me.
Mais, presque aussit?t, la vue de son cabinet plein de soleil, tout reluisant d'armes et de pipes align��es, la chanson du petit filet d'eau au milieu du jardin, le remit dans le vrai des choses. Diff��remment, pourquoi mourir? pourquoi partir m��me? Qui l'y obligeait, quel sot amour-propre?
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