l'hôtel:
«Si j'oserais demander à mossié de vouloir bien signer son nom...
Il hésite un instant. Faut-il, ne faut-il pas conserver l'incognito?
Après tout, qu'importe! En supposant que la nouvelle de sa présence au
Rigi arrive là-bas, nul ne saura ce qu'il est venu faire en Suisse. Et puis
ce sera si drôle, demain matin, la stupeur de tous ces «Inglichemans»
quand ils apprendront... Car cette fille ne pourra pas s'en taire... Quelle
surprise par tout l'hôtel, quel éblouissement!...
«Comment? C'était lui... Lui!...
Ces réflexions passèrent dans sa tête, rapides et vibrantes comme les
coups d'archet de l'orchestre. Il prit la plume et d'une main négligente,
au-dessous d'Astier-Réhu, de Schwanthaler et autres illustres, il signa
ce nom qui les éclipsait tous, son nom; puis monta vers sa chambre,
sans même se retourner pour voir l'effet dont il était sûr.
Derrière lui la Suissesse regarda,
TARTARIN DE TARASCON
et au-dessous:
P. C. A.
Elle lut cela, cette Bernoise, et ne fut pas éblouie du tout. Elle ne savait
pas ce que signifiait P. C. A. Elle n'avait jamais entendu parler de
«Dardarin».
Sauvage, _raì_!
II
TARASCON, CINQ MINUTES D'ARRÊT.--LE CLUB DES
ALPINES.--EXPLICATION DU P.C.A.--LAPINS DE GARENNE ET
LAPINS DE CHOUX.--CECI EST MON TESTAMENT.--LE SIROP
DE CADAVRE.--PREMIÈRE ASCENSION.--TARTARIN TIRE SES
LUNETTES.
Quand ce nom de «Tarascon» sonne en fanfare sur la voie du
Paris-Lyon-Méditerranée, dans le bleu vibrant et limpide du ciel
provençal, des têtes curieuses se montrent à toutes les portières de
l'express, et de wagon en wagon les voyageurs se disent: «Ah! voil
Tarascon... Voyons un peu Tarascon.
Ce qu'on en voit n'a pourtant rien que de fort ordinaire, une petite ville
paisible et proprette, des tours, des toits, un pont sur le Rhône. Mais le
soleil tarasconnais et ses prodigieux effets de mirage, si féconds en
surprises, en inventions, en cocasseries délirantes; ce joyeux petit
peuple, pas plus gros qu'un pois chiche, qui reflète et résume les
instincts de tout le Midi français, vivant, remuant, bavard, exagéré,
comique, impressionnable, c'est là ce que les gens de l'express guettent
au passage et ce qui fait la popularit de l'endroit.
En des pages mémorables que la modestie l'empêche de rappeler plus
explicitement, l'historiographe de Tarascon a jadis essayé de dépeindre
les jours heureux de la petite ville menant sa vie de cercle, chantant ses
romances--chacun la sienne,--et, faute de gibier, organisant de
curieuses chasses à la casquette[*]. Puis, la guerre venue, les temps
noirs, il a dit Tarascon, et sa défense héroïque, l'esplanade torpillée, le
cercle et le café de la comédie imprenables, tous les habitants formés en
compagnies franches, soutachés de fémurs croisés et de têtes de mort,
toutes les barbes poussées, un tel déploiement de haches, sabres
d'abordage, revolvers américains, que les malheureux en arrivaient à se
faire peur les uns aux autres et ne plus oser s'aborder dans les rues.
[*] Voici ce qu'il est dit de cette chasse locale dans les Aventures
prodigieuses de Tartarin de Tarascon:
«Après un bon déjeuner en pleine campagne, chacun des chasseurs
prend sa casquette, la jette en l'air de toutes ses forces, et la tire au vol
avec du 5, du 6 ou du 2, selon les conventions. Celui qui met le plus
souvent dans sa casquette est proclamé roi de la chasse et rentre, le soir,
en triomphateur à Tarascon, la casquette criblée au bout du fusil, au
milieu des aboiements et des fanfares...
Bien des années ont passé depuis la guerre, bien des almanachs ont ét
mis au feu; mais Tarascon n'a pas oublié, et, renonçant aux futiles
distractions d'autre temps, n'a plus songé qu'à se faire du sang et des
muscles au profit des revanches futures. Des sociétés de tir et de
gymnastique, costumées, équipées, ayant toutes leur musique et leur
bannière; des salles d'armes, boxe, bâton, chausson; des courses pieds,
des luttes à main plate entre personnes du meilleur monde ont remplacé
les chasses à la casquette, les platoniques causeries cynégétiques chez
l'armurier Costecalde.
Enfin le cercle, le vieux cercle lui-même, abjurant bouillotte et bezigue,
s'est transformé en Club Alpin, sur le patron du fameux «Alpine Club»
de Londres qui a porté jusqu'aux Indes la renommée de ses grimpeurs.
Avec cette différence que les Tarasconnais, au lieu de s'expatrier vers
des cimes étrangères à conquérir, se sont contentés de ce qu'ils avaient
sous la main, ou plutôt sous le pied, aux portes de la ville.
Les Alpes à Tarascon?... Non, mais les Alpines, cette chaîne de
montagnettes parfumées de thym et de lavande, pas bien méchantes ni
très hautes (150 à 200 mètres au-dessus du niveau de la mer), qui font
un horizon de vagues bleues aux routes provençales, et que
l'imagination locale a décorées de noms fabuleux et caractéristiques:
_le Mont-Terrible, le Bout-du-Monde, le Pic-des-Géants,_ etc.
C'est plaisir, les dimanches matin, de voir les Tarasconnais guêtrés, le
pic
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