plaintive et les larmes aux yeux la vieille bonne m��re. Les pauvres petits n'auront pas le temps de se divertir et de faire connaissance avec la maison paternelle. Et moi, je n'aurai pas le temps de les regarder �� m'en rassasier.
-- Cesse de hurler, vieille; un Cosaque n'est pas fait pour s'avachir avec les femmes. N'est-ce pas? tu les aurais cach��s tous les deux sous ta jupe, pour les couver comme une poule ses oeufs. Allons, marche. Mets-nous vite sur la table tout ce que tu as �� manger. Il ne nous faut pas de gateaux au miel, ni toutes sortes de petites fricass��es. Donne-nous un mouton entier ou toute une ch��vre; apporte-nous de l'hydromel de quarante ans; et donne-nous de l'eau-de-vie, beaucoup d'eau-de-vie; pas de cette eau-de-vie avec toutes sortes d'ingr��dients, des raisins secs et autres vilenies; mais de l'eau-de-vie toute pure, qui p��tille et mousse comme une enrag��e.
Boulba conduisit ses fils dans sa chambre, d'o�� sortirent �� leur rencontre deux belles servantes, toutes charg��es de monistes[2]. ��tait-ce parce qu'elles s'effrayaient de l'arriv��e de leurs jeunes seigneurs, qui ne faisaient grace �� personne? ��tait-ce pour ne pas d��roger aux pudiques habitudes des femmes? �� leur vue, elles se sauv��rent en poussant de grands cris, et longtemps encore apr��s, elles se cach��rent le visage avec leurs manches. La chambre ��tait meubl��e dans le go?t de ce temps, dont le souvenir n'est conserv�� que par les douma[3] et les chansons populaires, que r��citaient autrefois, dans l'Ukraine, les vieillards �� longue barbe, en s'accompagnant de la bandoura[4], au milieu d'une foule qui faisait cercle autour d'eux; dans le go?t de ce temps rude et guerrier, qui vit les premi��res luttes soutenues par l'Ukraine contre l'union[5]. Tout y respirait la propret��. Le plancher et les murs ��taient rev��tus d'une couche de terre glaise luisante et peinte. Des sabres, des fouets (naga?kas), des filets d'oiseleur et de p��cheur, des arquebuses, une corne curieusement travaill��e servant de poire �� poudre, une bride chamarr��e de lames d'or, des entraves parsem��es de petits clous d'argent, ��taient suspendus autour de la chambre. Les fen��tres, fort petites, portaient des vitres rondes et ternes, comme on n'en voit plus aujourd'hui que dans les vieilles ��glises; on ne pouvait regarder au dehors qu'en soulevant un petit chassis mobile. Les baies de ces fen��tres et des portes ��taient peintes en rouge. Dans les coins, sur des dressoirs, se trouvaient des cruches d'argile, des bouteilles en verre de couleur sombre, des coupes d'argent cisel��, d'autres petites coupes dor��es, de diff��rentes mains-d'oeuvre, v��nitiennes, florentines, turques, circassiennes, arriv��es par diverses voies aux mains de Boulba, ce qui ��tait assez commun dans ces temps d'entreprises guerri��res. Des bancs de bois, rev��tus d'��corce brune de bouleau, faisaient le tour entier de la chambre. Une immense table ��tait dress��e sous les saintes images, dans un des angles ant��rieurs. Un haut et large po��le, divis�� en une foule de compartiments, et couvert de briques verniss��es, bariol��es, remplissait l'angle oppos��. Tout cela ��tait tr��s connu de nos deux jeunes gens, qui venaient chaque ann��e passer les vacances �� la maison; je dis venaient, et venaient �� pied, car ils n'avaient pas encore de chevaux, la coutume ne permettant point aux ��coliers d'aller �� cheval. Ils ��taient encore �� l'age o�� les longues touffes du sommet de leur crane pouvaient ��tre tir��es impun��ment par tout Cosaque arm��. Ce n'est qu'�� leur sortie du s��minaire que Boulba leur avait envoy�� deux jeunes ��talons pour faire le voyage.
�� l'occasion du retour de ses fils, Boulba fit rassembler tous les centeniers de son polk[6] qui n'��taient pas absents; et quand deux d'entre eux se furent rendus �� son invitation, avec le ?��saoul[7] Dmitri Tovkatch, son vieux camarade, il leur pr��senta ses fils en disant:
-- Voyez un peu quels gaillards! je les enverrai bient?t �� la setch.
Les visiteurs f��licit��rent et Boulba et les deux jeunes gens, en leur assurant qu'ils feraient fort bien, et qu��il n'y avait pas de meilleure ��cole pour la jeunesse que le zaporoji��.
-- Allons, seigneurs et fr��res, dit Tarass, asseyez-vous chacun o�� il lui plaira. Et vous, mes fils, avant tout, buvons un verre d'eau-de-vie. Que Dieu nous b��nisse! �� votre sant��, mes fils! �� la tienne, Ostap (Eustache)! �� la tienne, Andry (Andr��)! Dieu veuille que vous ayez toujours de bonnes chances �� la guerre, que vous battiez les pa?ens et les Tatars! et si les Polonais commencent quelque chose contre notre sainte religion, les Polonais aussi! Voyons, donne ton verre. L'eau-de-vie est-elle bonne? Comment se nomme l'eau-de-vie en latin? Quels sots ��taient ces Latins! ils ne savaient m��me pas qu'il y e?t de l'eau-de-vie au monde. Comment donc s'appelait celui qui a ��crit des vers latins? Je ne suis pas trop savant; j'ai oubli�� son nom. Ne s'appelait-il pas Horace?
-- Voyez-vous le sournois, se dit tout bas le fils
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