Tarass Boulba | Page 2

Nikolai Vassilievitch Gogol
jours fixes, le 24 juin, jour de la fête de saint Jean-Baptiste, et le 1er octobre, jour de la présentation de la Vierge, patronne de l’église de la setch.
Le trait le plus saillant, et particulièrement distinctif de cette confrérie militaire, c’était le célibat imposé à tous ses membres pendant leur réunion. Aucune femme n’était admise dans la setch.
Préface à l’édition de la Librairie Hachette et Cie, 1882.
CHAPITRE I
-- Voyons, tourne-toi. Dieu, que tu es dr?le! Qu'est-ce que cette robe de prêtre? Est-ce que vous êtes tous ainsi fagotés à votre académie?
Voilà par quelles paroles le vieux Boulba accueillait ses deux fils qui venaient de terminer leurs études au séminaire de Kiew[1], et qui rentraient en ce moment au foyer paternel.
Ses fils venaient de descendre de cheval. C'étaient deux robustes jeunes hommes, qui avaient encore le regard en dessous, comme il convient à des séminaristes récemment sortis des bancs de l'école. Leurs visages, pleins de force et de santé, commen?aient à se couvrir d'un premier duvet que n'avait jamais fauché le rasoir. L'accueil de leur père les avait fort troublés; ils restaient immobiles, les yeux fixés à terre.
-- Attendez, attendez; laissez que je vous examine bien à mon aise. Dieu! que vous avez de longues robes! dit-il en les tournant et retournant en tous sens. Diables de robes! je crois qu'on n'en a pas encore vu de pareilles dans le monde. Allons, que l'un de vous essaye un peu de courir: je verrai s'il ne se laissera pas tomber le nez par terre, en s'embarrassant dans les plis.
-- Père, ne te moque pas de nous, dit enfin l'a?né.
-- Voyez un peu le beau sire! et pourquoi donc ne me moquerais-je pas de vous?
-- Mais, parce que... quoique tu sois mon père, j'en jure Dieu, si tu continues de rire, je te rosserai.
-- Quoi! fils de chien, ton père! dit Tarass Boulba en reculant de quelques pas avec étonnement.
-- Oui, même mon père; quand je suis offensé, je ne regarde à rien, ni à qui que ce soit.
-- De quelle manière veux-tu donc te battre avec moi, est-ce à coups de poing?
-- La manière m'est fort égale.
-- Va pour les coups de poing, répondit Tarass Boulba en retroussant ses manches. Je vais voir quel homme tu fais à coups de poing.
Et voilà que père et fils, au lieu de s'embrasser après une longue absence, commencent à se lancer de vigoureux horions dans les c?tes, le dos, la poitrine, tant?t reculant, tant?t attaquant.
-- Voyez un peu, bonnes gens: le vieux est devenu fou; il a tout à fait perdu l'esprit, disait la pauvre mère, pale et maigre, arrêtée sur le perron, sans avoir encore eu le temps d'embrasser ses fils bien-aimés. Les enfants sont revenus à la maison, plus d'un an s'est passé depuis qu'on ne les a vus; et lui, voilà qu'il invente, Dieu sait quelle sottise... se rosser à coups de poing!
-- Mais il se bat fort bien, disait Boulba s'arrêtant. Oui, par Dieu! très bien, ajouta-t-il en rajustant ses habits; si bien que j'eusse mieux fait de ne pas l'essayer. ?a fera un bon Cosaque. Bonjour, fils; embrassons-nous.
Et le père et le fils s'embrassèrent.
-- Bien, fils. Rosse tout le monde comme tu m'as rossé; ne fais quartier à personne. Ce qui n'empêche pas que tu ne sois dr?lement fagoté. Qu'est-ce que cette corde qui pend? Et toi, nigaud, que fais-tu là, les bras ballants? dit-il en s'adressant au cadet. Pourquoi, fils de chien, ne me rosses-tu pas aussi?
-- Voyez un peu ce qu'il invente, disait la mère en embrassant le plus jeune de ses fils. On a donc de ces inventions-là, qu'un enfant rosse son propre père! Et c'est bien le moment d'y songer! Un pauvre enfant qui a fait une si longue route, qui s'est si fatigué (le pauvre enfant avait plus de vingt ans et une taille de six pieds), il aurait besoin de se reposer et de manger un morceau; et lui, voilà qu'il le force à se battre.
-- Eh! eh! mais tu es un freluquet à ce qu'il me semble, disait Boulba. Fils, n'écoute pas ta mère; c'est une femme, elle ne sait rien. Qu'avez-vous besoin, vous autres, d'être dorlotés? Vos dorloteries, à vous, c'est une belle plaine, c'est un bon cheval; voilà vos dorloteries. Et voyez-vous ce sabre? voilà votre mère. Tout le fatras qu'on vous met en tête, ce sont des bêtises. Et les académies, et tous vos livres, et les ABC, et les philosophies, et tout cela, je crache dessus.
Ici Boulba ajouta un mot qui ne peut passer à l'imprimerie.
-- Ce qui vaut mieux, reprit-il, c'est que, la semaine prochaine, je vous enverrai au zaporojié. C'est là que se trouve la science; c'est là qu'est votre école, et que vous attraperez de l'esprit.
-- Quoi! ils ne resteront qu'une semaine ici? disait d'une voix
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