Sur les moeurs et usages des Morlaques, appellés Montenegrins | Page 9

Alberto Fortis
procédé, comme sur les pénitences publiques, ils s'appuyent de l'exemple de l'église primitive.
Les prêtres abusent encore de la crédulité & de la confiance des pauvres Montagnards, en leur vendant chèrement des billets superstitieux & d'autres drogues de cette espéce. Ils écrivent d'une manière singuliere dans ces billets, appelles Zapiz, le nom de quelque saint; quelquefois ils en copient d'anciens, en y ajoutant quelque absurdité de leur propre invention. Ils attribuent à ces Zapiz à peu près les mêmes vertus, que les Basilidens attribuèrent à leurs monstrueuses amuletes. Pour se préserver ou pour se guérir de quelques maladies, les Morlaques les portent cousus à leur bonnet: souvent, dans le même but, ils les attachent aux cornes de leur bétail. Le profit considérable, que les prêtres tirent de ces paperasses, les engage à prendre toutes les mésures possibles pour en maintenir le crédit, malgré les fréquentes preuves de leur inutilité, dont ceux, qui s'en servent, ne manquent pas de s'appercevoir. Il est remarquable, que les Turcs même du voisinage accourent pour avoir de ces billets des prêtres Chrétiens; ce qui augmente encore le débit de cette marchandise.
Un autre point de la superstition Morlaque; qui cependant n'est pas entièrement inconnue parmi le peuple en Italie, c'est une vertu particulière contre l'épilepsie & plusieurs maladies, attribuée aux médailles de cuivre & d'argent du Bas-Empire, ou aux monnoyes Vénitiennes du moyen age, qui passent généralement pour être des médailles de _Sainte Hélene_. Ils attribuent la même vertu aux monnoyes Hongroises, appellées Petizze, quand leur revers représente la Sainte Vierge, portant l'enfant Jésus sur le bras droit.
Les Turcs voisins, qui portent dévotement ces zapiz superstitieux, & qui présentent des offrandes, ou font dire la messe, devant les images de la sainte Vierge (actions surement contraires aux préceptes de l'Alcoran), tombent dans une contradiction manifeste, en ne voulant pas répondre au salut, usité parmi les habitans des bords de la mer, buaglian Issus; loué soit Jésus. Par cette raison les voyageurs vers les frontières se saluent réciproquement, en disant, buaglian Bog, Dieu soit loué.

§. IX.
Des manières des MORLAQUES.
L'innocence de la liberté, naturelle aux peuples pasteurs, se conservent en Morlachie; où l'on en observe, au moins, des vestiges frapants dans les endroits éloignés des c?tés maritimes. La cordialité n'y est gênée par aucuns égards, & elle se montre à découvert sans distinction des circonstances. Une belle fille Morlaque rencontre en chemin un compatriote, & l'embrasse affectueusement sans penser à mal. J'ai vu les femmes, les filles, les jeunes gens, & les vieillards, se baiser tous entre eux, à mésure qu'ils s'assembloient sur la place de l'église; en sorte que toute une ville paroissoit composée d'une seule famille. Cent fois j'ai observé la même chose aux marchés des villes, où les Morlaques viennent vendre leurs denrées.
Les jours de fête, outre le baiser, ils se permettent encore de certaines libertés, que nous trouverions peu décentes: mais qu'ils ne regardent pas comme telles, en disant, que ce sont des badinages sans conséquence. Par ces badinages, cependant, commencent à l'ordinaire leurs amours, qui, quand les amants sont d'accord, finissent, souvent par des enlèvemens. Il arrive rarement qu'un Morlaque déshonore une fille, ou l'enlève contre sa volonté. Dans un cas semblable, elle seroit surement une belle défense, puisque dans ces pays le sexe cède de peu aux hommes en force & en courage. Presque toujours une fille fixe elle-même l'heure & le lieu de son enlèvement. Elle le fait pour se délivrer d'une foule d'amants, auxquels elle a donné peut-être des promesses, ou desquels elle a re?u quelques présens galans, comme une bague de laiton, un petit couteau, ou telle autre bagatelle.
Les femmes Morlaques prennent quelque soin de leurs personnes pendant qu'elles sont libres: mais, après le mariage, elles s'abandonnent tout de suite à la plus grande malpropreté; comme si elles voulurent justifier le mépris avec lequel leurs maris les traitent. Il ne faut pas s'attendre, cependant, à des émanations douces à l'approche des filles Morlaques: elles ont la co?tume d'oindre leurs cheveux avec du beurre, qui, devenu rance; exhale, même de loin, l'odeur la plus détestable.

§. X.
De l'habillement des femmes.
Les habits des femmes Morlaques varient suivant les districts, & paroissent toujours singuliers aux yeux d'un étranger. La parure des filles diffère de celles des femmes mariées, en ce que les premières portent sur leur tête des ornemens bizarres, au lieu que les dernieres n'osent se co?ffer que d'un mouchoir noué, blanc ou en couleur. Ces filles mettent un bonnet d'écarlate, d'où descend à l'ordinaire jusqu'aux épaules un voile, comme une marque de leur virginité. Si ce bonnet est garni de plusieurs médailles, parmi lesquelles se trouvent souvent de précieuses antiques; d'ouvrages de filogramme, comme des pendants d'oreilles, & de cha?nes d'argent, terminées par des croissans: les plus hupées se croyent assez parées. Quelques-unes y mettent encore des verres colorés, montés en argent.
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