Sur les moeurs et usages des Morlaques, appellés Montenegrins | Page 7

Alberto Fortis
y sont plus difficiles à appaiser. Dans cette contrée, l'homme le plus doux est capable d'exercer la vengeance la plus barbare: il croit s'acquiter d'un devoir, en comettant un crime, en préférant un honneur chimérique à l'observation des loix, & en s'exposant de propos délibére aux chatimens les plus sévères.
A l'ordinaire, le meurtrier d'un Morlaque bien apparenté, se voit obligé de s'enfuir & de se cacher pendant longtems dans différens endroits. Si par son adresse ou par son bonheur, il parvient à se dérober aux poursuites de ses ennemis, & s'il a trouvé le moyen d'amasser quelque argent, il tache, après un tems raisonnable, d'obtenir son pardon. Pour traiter des conditions de sa paix, il demande un sauf-conduit, qu'on observe fidellement. Il trouve des médiateurs, qui, à un jour fixé rassemblent les deux familles ennemies. Après quelques préliminaires on introduit le criminel dans le lieu de l'assemblée, où il entre en marchant à quatre, en se tra?nant par terre, & en tenant pendus à son col les armes, avec lesquelles il a exécuté le meurtre. Pendant qu'il se trouve dans cette position incommode & humiliante, un ou plusieurs des parens présens, font l'éloge du défunt; ce qui rallume quelquefois leur colère, & met la vie du criminel en danger. Dans quelques endroits, les parens du mort menacent le meurtrier, en lui mettant des armes à la gorge, & ne consentent, qu'après beaucoup de resistance, à recevoir le prix du sang répandu. En Albanie ces paix co?tent beaucoup: chez les Morlaques elles se font souvent à peu de fraix: toutes, cependant, se terminent par un bon repas aux dépens du criminel.

§. VII.
Des talens & des arts des MORLAQUES.
Une grande vivacité d'esprit, & un génie naturellement entreprenant, font réussir les Morlaques en tout à quoi ils s'appliquent. Bien conduits, ils deviennent d'excellent soldats. Dans la dernière guerre avec la Porte, le brave général DELFINO, qui conqu?t sur les Turcs une partie considérable de la province, les employa dans le service en toute manière, principalement comme grenadiers. Ils réussissent merveilleusement dans la conduite des affaires de commerce, & quoique déjà avancés en age, ils apprennent avec facilité à lire, à écrire & à calculer. On dit, qu'au commencement de ce siécle, les bergers Morlaques s'occuperent beaucoup de la lecture d'un gros livre de théologie, de morale & d'histoire, compilé par un certain P. DIVCOVICH, & imprimé plusieurs fois à Venise avec leurs caractères Cyrilliens-Bosniaques, différens un peu des Russes. Il arriva souvent, quand le curé, plus pieux que savant, estropioit dans son pr?ne quelque fait de l'histoire sainte, qu'un des auditeurs s'avisa de crier: Nie tako, il n'est pas ainsi. Pour obvier à ce scandale, on prit le parti de ramasser tous les exemplaires de cet ouvrage, qui par cette raison est devenu fort rare en Dalmatie. Leur vivacité d'esprit se montre aussi dans des reparties piquantes. Un Morlaque de Scign se trouvant présent à l'échange des prisonniers après la dernière guerre, vit qu'on rendit plusieurs soldats Ottomans contre un seul officier Vénitiens. Un des députés Turcs dit alors en se moquant, que les Vénitiens lui paroissoient faire un mauvais marché. ?Sache, répliqua le Morlaque, que mon souverain donne volontiers plusieurs anes pour un bon cheval?.
Malgré les dispositions les plus heureuses pour tout apprendre, les Morlaques ont des connoissances très imparfaites à l'égard de l'agriculture & de l'art de gouverner le bétail. La ténacité à garder les anciennes coutumes, singuliérement propre à cette nation, & le peu de soin qu'on prend à les convaincre des avantages des nouvelles méthodes, ont du produire naturellement cet effet. Ils laissent les bêtes à corne, & à laine, exposées à l'inclémence de l'air, au froid, & souvent à la faim. Leurs charues, & les autres instrumens de labourage paroissent construits dans l'enfance des arts, & ressemblent aussi peu aux n?tres, que les modes du tems de Triptoleme ressemblent à celles du siécle présent. Ils font tant bien que mal, du beurre & des fromages, qui pourroient passer si ce laitage étoit préparé avec moins de malpropreté.
Le métier du tailleur se borne à l'ancienne & invariable coupe des habits, qui se prennent toujours de la même étoffe. Un drap plus étroit ou plus large que de coutume, désoriente un tailleur Morlaque, & met en défaut son habileté.
Ils ont quelques idées de l'art de la teinture, & leurs couleurs ne sont nullement à mépriser. Leur noir se fait avec l'écorce du Frêne, qu'ils appellent Jassea, mise en infusion avec du machefer, qu'ils ramassent dans les atteliers des maréchaux ferrans. Avec du Pastel sauvage, séché à l'ombre & bouilli pendant quelques heures, ils obtiennent un beau bleu foncé. Ils tirent le jaune & le brun du fustet [Scèdano], appellé par eux Raci, & la première de ces couleurs encore du Fusain [Evonimo] connu chez eux sous le nom de Puzzalina.
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