incliné doucement vers les bords écumeux du golfe. Les dalles du forum, les colonnes de la basilique, les gradins du cirque, les blancs degrés des propylées étincelaient, et les fa?tes dorés des temples jetaient des éclairs. Vaste et neuve, la ville était coupée de rues droites. Une voie large descendait jusqu'au port de Leckhée, bordé de magasins et couvert de navires. A l'occident, la terre était offensée par la fumée des forges et par les ruisseaux noirs des teintureries, et de ce c?té, des forêts de pins, s'étendant jusqu'à l'horizon, s'y confondaient avec le ciel.
Peu à peu la ville s'éveilla. Le hennissement aigre d'un cheval déchira l'air matinal, et l'on commen?a d'entendre les bruits sourds des roues, les cris des charretiers et le chant des vendeuses d'herbes. Sorties de leurs masures à travers les décombres du palais de Sisyphe, de vieilles femmes aveugles, portant sur la tête des urnes de cuivre, allaient, conduites par des enfants, puiser de l'eau à la fontaine Pirène. Sur les toits plats des maisons qui longeaient les jardins du proconsul, des Corinthiennes étendaient du linge pour le faire sécher, et l'une d'elles fouettait son enfant avec des tiges de poireaux. Dans le chemin creux qui montait à l'Acropole, un vieillard demi-nu, couleur de bronze, aiguillonnait la croupe d'un ane chargé de salades et chantait entre ses dents ébréchées, dans sa barbe rude, une chanson d'esclave:
Travaille, petit ane, Comme j'ai travaillé. Et cela te profitera: Tu peux en être s?r.
Cependant, au spectacle de la ville recommen?ant son labeur de chaque jour, Gallion se prit à songer à cette première Corinthe, la belle Ionienne, opulente et joyeuse, jusqu'au jour où elle vit ses citoyens massacrés par les soldats de Mummius, ses femmes, les nobles filles de Sisyphe, vendues à l'encan, ses palais, ses temples incendiés, ses murs renversés et ses richesses entassées dans les liburnes du Consul.
--Il n'y a pas encore un siècle, dit-il, l'oeuvre de Mummius subsistait tout entière. Ce rivage que tu vois, ? mon frère, était plus désert que les sables de Libye. Le divin Julius releva la ville détruite par nos armes et la peupla d'affranchis. Sur cette plage, où les illustres Bacchiades avaient étalé leur fière indolence, des Latins pauvres et grossiers s'établirent et Corinthe commen?a de rena?tre. Elle s'accrut rapidement et sut tirer avantage de sa position. Elle per?oit un tribut sur tous les navires qui, venus de l'orient ou de l'occident, mouillent dans ses deux ports de Leckhée et de Kenkhrées. Son peuple et ses richesses ne cessent de s'accro?tre à la faveur de la paix romaine.
?Que de bienfaits l'Empire n'a-t-il pas répandus sur le monde! Par lui les villes, les campagnes go?tent un calme profond. Les mers sont purgées de pirates et les routes de brigands. De l'océan brumeux au golfe Permulique, de Gadès à l'Euphrate, le commerce des marchandises se fait avec une sécurité que rien ne trouble. La loi protège la vie et les biens de tous. Les droits de chacun sont mis hors d'atteinte. La liberté n'a désormais pour limites que ses lignes de défense et n'est bornée que pour sa s?reté. La justice et la raison gouvernent l'univers.
Annaeus Méla n'avait pas, comme ses deux frères, brigué les honneurs. Ceux qui l'aimaient, et ils étaient nombreux, car il se montrait, dans ses manières, toujours affable et d'une extrême aménité, attribuaient cet éloignement des affaires à la modération d'un esprit qu'attirait une obscurité tranquille et qui n'e?t voulu se donner d'autres soins que l'étude de la philosophie. Mais des observateurs plus froids croyaient s'apercevoir qu'il était ambitieux à sa manière et jaloux, à l'exemple de Mécène, d'égaler, simple chevalier romain, le crédit des consulaires. Enfin certains esprits malveillants croyaient discerner en lui l'avidité des Sénèques pour ces richesses qu'ils affectaient de mépriser, et ils s'expliquaient de cette manière que Méla e?t longtemps vécu obscur en Bétique, tout occupé de l'administration de ses vastes domaines, et qu'appelé ensuite à Rome par son frère le philosophe, il s'y f?t attaché à la gestion des finances impériales plut?t que de rechercher de grands emplois judiciaires ou militaires. On ne pouvait pas aisément décider de son caractère sur ses discours parce qu'il tenait le langage des sto?ciens, aussi propre à cacher les faiblesses de l'ame qu'à révéler la grandeur des sentiments. C'était alors une élégance que de venir des discours vertueux. Du moins est-il certain que Méla pensait hautement.
Il répondit à son frère que, sans être versé comme lui dans les affaires publiques, il avait eu sujet d'admirer la puissance et la sagesse des Romains.
--Elles se montrent, dit-il, jusqu'au fond de notre Espagne. Mais c'est dans une gorge sauvage des monts thessalien que j'ai le mieux senti la majesté bienfaisante de l'Empire. Je venais d'Hypathe, ville célèbre par ses fromages et ses magiciennes, et j'avais chevauché pendant quatre heures dans la
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